Délaissée… à tort ?

Ferrari Mondial

© Classic & Sports Car / Tony Baker

La Mondial fait aujourd’hui partie des Ferrari les plus sous-estimées. Mais ce coupé 2+2 à moteur central mérite-t-il vraiment ce sort peu enviable ?

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Par rapport à d’autres Ferrari, la Mondial ne semble pas au niveau : elle n’est ni assez rapide, ni assez rare, ni assez belle pour répondre aux idées préconçues d’acheteurs formatés. Avec deux places de trop et pas assez de cylindres, elle paraît condamnée à rester au bas de l’échelle ; elle correspond presque à la définition d’une Ferrari « bon marché », mais personne ne semble vouloir l’acheter tout simplement pour ce qu’elle est.

Même aujourd’hui, dans un monde où les amateurs se prosternent bouche bée (et portefeuille vide) devant tout ce qui porte un cheval cabré, la Mondial reste étonnamment abordable. Les prix commencent autour de 25 000 € pour une Mondial 8 première version, jusqu’à dépasser 60 000 € pour la « t », ultime déclinaison. Ce qui fait de cette quatre-places à moteur central un des moyens les moins chers de devenir propriétaire d’une Ferrari, si cela était un but en soi.

Mais si vous regardez de plus près, ce que vous découvrirez est une 3 litres de grand tourisme plutôt accomplie, dont il se trouve que c’est une Ferrari. Un coupé bien conçu, qui a emmené la formule 2+2 à moteur central jusqu’à sa conclusion naturelle, sachant qu’aucun autre constructeur ne s’y est intéressé depuis.

 Cuir Connolly, climatisation correcte et colonne de direction réglable étaient là pour attirer une plus large clientèle.

“Elle pouvait rouler à 190km/h en transportant quatre personnes dans l’habitacle le plus complet de toute Ferrari de route”

Produite pendant une douzaine d’années à plus de 6000 exemplaires, la Mondial, comme tant d’autres modèles soi-disant “secondaires” à mécanique italienne, a représenté pour Maranello un intéressant succès commercial; ce qui, après tout, était le but de l’exercice. Ainsi, peut-être pour la première fois, une Ferrari cherchait à répondre aux attentes des acheteurs en matière de qualité de fabrication, de fiabilité et de facilité d’usage, face à la rude concurrence de sportives allemandes de plus en plus robustes et bien fabriquées.

Avec sa protection contre la rouille, son alimentation par injection et sa prise de diagnostic, tout était fait pour que la Mondial 8 apparaisse, lors de son lancement en 1980, comme une Ferrari d’un nouveau genre, un nouveau départ pour le constructeur. C’était aussi la première des Ferrari V8 de tourisme désignée par un nom plutôt qu’un nombre; l’appellation “Mondial” rendait hommage aux Ferrari quatre-cylindres de course des années1950, tout en soulignant que ce modèle était vraiment appelé à être diffusé dans le monde entier, dont bien sûr les États-Unis.

Ferrari ayant retiré de ce marché ses V12polluants, un modèle V8 adapté aux contraintes américaines était plus important que jamais, sachant que ce pays absorbait 35% d’une production qui, de toute façon, comportait 75%de V8. Les responsables de Fiat, ayant remarqué la popularité de la 308 GT4, avaient découvert que même Ferrari avait des concurrentes et devait affronter la réalité. Après leur prise de contrôle du constructeur de Maranello, la Mondial était sans doute la première Ferrari entièrement conçue sous leur influence. C’était une proposition entièrement commerciale, les compromis inhérents à la conception de toute voiture ayant penché en faveur du client final plutôt que des caprices de puriste d’un constructeur de voitures de Grand Prix.

C’était peut-être une Ferrari édulcorée, basses calories, mais pour l’essentiel encore une Ferrari avec sa structure tubulaire, sa boîte cinq rapports à grille apparente et un V8 transversal 3 litres à quatre ACT, mais maintenant doté d’un allumage et d’une injection à gestion électronique. Certes, ses 214 ch “dépollués” représentaient une perte de 36 ch par rapport aux 250 revendiqués (sans doute à tort) par la 308 GT4, avec ses carburateurs Weber et ses 108kg de moins. Une accélération de 8,5 s de 0 à 100km/h et une vitesse de pointe de 230km/h provoquaient des commentaires dépités, mais les moins bons articles sont venus des États-Unis où les voitures ne disposaient que de 205 ch. Mais, à propos de cette première Mondial, ces critiques de bureau oubliaient qu’elle était capable de tenir une vitesse de croisière de190km/h tout en transportant quatre personnes dans l’habitacle peut-être le mieux conçu et le plus complet de toute Ferrari de route jusqu’alors. Lumineux, spacieux et entièrement habillé de cuir Connolly, il présentait la première colonne de direction réglable du constructeur (sans sortir les outils), ainsi qu’un verrouillage centralisé et une climatisation efficace. Il y avait aussi des systèmes digitaux et des voyants lumineux de rappel des opérations d’entretien pourque les possesseurs de BMW ne soient pas dépaysés, ce qui était évidemment important.

Fabriquée par Scaglietti, la carrosserie était attribuée à Leonardo Fioravanti, de Pininfarina. En 1980, il n’était âgé que de 42 ans mais la Mondial était déjà sa huitième Ferrari, avec à son actif des machines du calibre de la Daytona. Ayant commencé à travailler au milieu des années 1970 sur une remplaçante de la 308 GT4de Bertone, il était arrivé rapidement à la conclusion qu’un empattement plus long de 10cmserait nécessaire pour que les places arrières soient correctes, même pour une “2+2”. Plus longue de 33cm, plus large de 7cm et plus haute de 12cm que la 308 GTB, la carrosserie de la Mondial était en acier à l’exception de l’avant, du capot moteur et des portes, en aluminium. Une utilisation extensive d’éléments caissonnés la rendait plus rigide que celle de la GT4 et elle était conçue pour que, en dévissant quelques boulons, le moteur et la boîte puissent être déposés facilement.

Si la ligne, avec son toit assez haut et son habitacle avancé, ne répondait pas aux canons des Ferrari classiques, il est difficile d’imaginer une conclusion différente. Avec un profil élégant mais un peu large pour sa longueur, le dessin de Fioravanti avait une légèreté qui faisait oublier la quadrature du cercle consistant à caser un moteur central, des places arrière spacieuses et un coffre utilisable. Bien accueillie par les acheteurs, elle n’était pourtant pas facile à vendre, comme le rappelle Tony Willis qui gère aujourd’hui les archives Ferrari mais qui travaillait à l’époque pour Maranello Concessionaires:«J’aimais bien la Mondial (je crois avoir été le premier à l’engager en compétition, à Prescott), mais les dernières versions étaient bien meilleures. Le système électrique imparfait et le tableau de bord de la Mondial 8 ne facilitaient pas la vie.»

Pendant les 12 ans qui ont suivi, Ferrari s’est efforcé d’augmenter la puissance et les qualités de la Mondial. En 1982, la QV à quatre soupapes par cylindre effaçait les insuffisances, son V8de 240 ch “flat-plane” présentant la puissance spécifique la plus élevée de tout moteur atmosphérique de série de l’époque. En1985 arrivait une version3185cm3de 270 ch, toujours32soupapes mais simplement désignée Mondial 3.2. Entre-temps, sans   par les fortes ventes des308/328GTS, le constructeur lançait en 1984 la Mondial cabriolet. Première Ferrari complètement décapotable depuis la Daytona Spider, c’est elle le vrai succès de la gamme Mondial, avec une diffusion qui allait rapidement égaler, puis dépasser, la version fermée.

Enfin, la dernière version est la Mondial T dont le moteur 3,4 litres 300 ch est en position longitudinale, la boîte restant transversale, d’où le “T”. Empruntée à la F1, cette configuration permettait d’abaisser le moteur (et le centre de gravité) de 12cm tout en facilitant l’accès à l’embrayage. La Mondial de Martyn Tuthill est une “T” de 1990, achetée en 2017.«J’ai toujours eu envie d’une Ferrari, explique-t-il. J’ai regardé les 308 GT4 et les premières Mondial, mais je voulais la meilleure technologie des dernières versions.» Étonnamment, il trouve sa Mondial plus utilisable que sa Porsche 911 Targa, le seul problème qu’il ait rencontré étant une commande de climatisation capricieuse. Cela dit, il n’a jamais osé ouvrir le toit ouvrant: “s’il n’est pas bien réglé, il peut abîmer la peinture en s’ouvrant.”

De toutes les Mondial, la “T” est sans doute la plus désirable.

“Elle vire bien à plat, avec un soupçon de roulis dans les virages serrés et de l’adhérence à revendre sur les deux essieux”

C’est la première sortie de la voiture depuis cinq mois. La porte s’ouvre largement et vous prenez place dans un siège suffisamment bas pour permettre le port d’un chapeau mou. Depuis l’extérieur, même les grands conducteurs semblent un peu perdus à l’avant de cette voiture à nez court et toit haut, la grande surface vitrée imposant la présence d’une climatisation.

Le tableau de bord rappelle un peu le traitement modulaire de la Rover SD1, mais beaucoup plus élégant, et les pieds sont légèrement décalés vers le tunnel de transmission à cause des passages de roues un peu envahissants. Mais ces compromis sont vite effacés par l’excellence des sièges, le généreux espace aux coudes et l’atmosphère lumineuse de l’habitacle. Vous constatez aussi que le coffre est profond et que les sièges arrière peuvent accueillir facilement des enfants jusqu’à 12 ans.

Pas de procédure de démarrage particulière, juste le bruissement des pompes à essence et le moteur tourne. L’embrayage est ferme selon les standards actuels mais léger comparé aux Ferrari plus anciennes grâce à une commande hydraulique; l’attaque douce aide aussi. En manœuvre vous vous félicitez de l’assistance de direction, spécifique à la “T”. Le rayon de braquage est large, mais une fois en route vous n’y pensez plus. Dans la circulation, la voiture ne présente pas un couple très élevé à bas régime mais la puissance arrive avec douceur, le confort est civilisé (Tuthill règle les amortisseurs en position “confort”) et le bruit du moteur et de la boîte sont suffisants pour rendre la conduite plaisante.

Les premiers rapports, dans la belle grille apparente, sont difficiles à trouver quand l’huile est froide, mais sinon la Mondial est une voiture simple et indulgente affichant une accélération énergique, mais sans brutalité, et une excellente réactivité à l’accélérateur. La pédale douce et ferme est parfaitement assortie aux freins d’une rassurante progressivité. La position des pédales invite à une touche de talon-pointe quand la testostérone commence à affluer et que vous prenez goût au clic-clac clic-clac rapide, métallique et précis de la commande de boîte. Les rapports sont assez rapprochés, ce qui est parfait pour maintenir le vent d’excitation soufflé par un moteur superbe qui commence à accélérer vraiment fort à partir de 3500tr/mn, grimpant jusqu’à 7000tr/mn dans un mélange de chant de distribution et de hurlement d’échappement qui ne cesse de vous enchanter.

Avec à mes côtés le visage un peu crispé de son propriétaire, je ne peux prétendre solliciter les limites du châssis de la Mondial, ou découvrir par moi-même que l’empattement plus long rend la tenue de route plus facile que celle de ses sœurs à deux places. Ce que je peux affirmer, c’est que la Mondial présente des capacités qui dépassent très largement mes talents de pilote, et très probablement aussi les vôtres; les courbes se prennent bien à plat, avec un soupçon de roulis dans les virages serrés et toujours de l’adhérence à revendre sur les deux essieux. La voiture est parfaitement stable et détendue, imperméable à la maladresse et à l’indécision, avec une sensation douce et communicative qui flatte le timide et récompense celui qui souhaite un engagement plus sportif.

Le monde de Ferrari est tellement lié au statut, à la rareté et à une forme de complexe de supériorité que l’on comprend aisément pourquoi la Mondial, discrète et peut-être un peu trop pratique, a été traitée de façon un peu dédaigneuse. Je pense pourtant qu’un bon exemplaire, peut-être (pour moi) dans une autre couleur que le rouge, constitue une excellente voiture. Dans un monde où les Ferrari modernes semblent prendre une voie moins élégante et plus offensive pour une utilisation quotidienne, la Mondial est de plus en plus séduisante; les prix vont monter, si ce n’est déjà le cas. Choisissez avec soin, conduisez avec plaisir, mais surtout achetez une Mondial parce qu’elle vous plaît, pas parce que vous voulez absolument une Ferrari, à n’importe quel prix. Ce serait dommage…

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