Maximum attack !

Lancia Stratos

© Classic & Sports Car / Tony Baker

Conçue pour dominer le monde des rallyes, la Lancia Stratos a peu d’équivalents, que ce soit sur route ou sur piste. C’est ce que rappelle James Page en faisant le plein de sensations fortes au volant de cette version Stradale.

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C’est le genre de voiture qui vous rappelle pourquoi vous êtes passionné d’automobile. Viscérale plutôt que cérébrale, combinaison fascinante de technique sportive radicale sous une robe de supercar, cette machine exotique a conquis les rallyes les plus difficiles du monde. Au cours des années 1970, elle a redéfini la discipline comme l’avait fait la Mini dix ans plus tôt et comme l’Audi Quattro allait le faire après elle. Plus de 40 ans après sa naissance, la Lancia Stratos reste une des façons les plus grisantes d’effacer les soucis quotidiens.

Même à l’arrêt, son charisme saute aux yeux. Le dessin d’origine remonte à une époque où Lancia connaissait des difficultés financières après un sauvetage par Fiat et avait besoin de quelque chose de spectaculaire. Bertone est arrivé au Salon de Turin 1970 avec exactement ce qu’il fallait, sous la forme du concept car Zero équipé d’un moteur Fulvia. Nuccio lui-même s’est ensuite rendu avec la Zero chez Lancia où Cesare Fiorio, directeur sportif, a joué un rôle-clé pour obtenir l’accord d’en faire ce qui devait alors sembler une improbable machine de rallye.

Marcello Gandini était à l’origine du concept car et, au début de 1971, il l’a modifié pour en faire un prototype plus utilisable. Lors de sa présentation à Turin plus tard dans l’année, la Stratos présentait sa forme définitive mais, si le prototype était en aluminium, les voitures de “série” seraient en fibre de verre. Fiorio la définissait comme “un nouveau concept de voiture de sport.”


Certes un peu assagie par rapport à la Zéro, elle présentait toujours une forme fabuleuse, une des expressions les plus radicales du style “en coin”. Si vous la regardez de profil, il n’y a pratiquement pas de changement d’angle depuis l’extrême avant jusqu’au sommet du grand pare-brise. Les extensions d’ailes accompagnent la ligne et vous comprenez rapidement que la Stratos est la voiture des extrêmes : large, mais très courte; généreuse sous la ceinture de caisse, mais ramassée au niveau du pavillon.


Il vous apparaît tout aussi vite que la Stratos a été d’emblée conçue comme une voiture de compétition. Les capots avant et arrière basculent d’une pièce et découvrent la structure centrale en acier, ainsi que les berceaux avant et arrière qui portent des composants mécaniques très accessibles: essentiel pour faciliter le travail des équipes d’assistance en rallye. Cette voiture ne présente pas les compromis que l’on trouve habituellement sur une voiture conçue à l’origine pour la route. Le développement s’est poursuivi jusqu’en 1972, Gian Paolo Dallara et Mike Parkes contribuant à mettre au point le châssis. Pour améliorer
la robustesse et la conduite sur routes difficiles, par exemple, la suspension arrière abandonnait les doubles triangles (comme à l’avant) au profit de jambes MacPherson. La mise au point était rapide
et, avant même d’être homologuée en Groupe 4 (mais elle pouvait s’inscrire en prototype dans certaines épreuves), la Stratos faisait ses débuts au Tour de Corse 1972 : Sandro Munari et Mario Mannucci devaient toutefois abandonner sur défaillance de suspension.

La Stratos se comporte magnifiquement à vitesse
normale, mais devient délicate à la limite.

“VOUS COMPRENEZ RAPIDEMENT QUE LA STRATOS A ÉTÉ D’EMBLÉE
CONÇUE COMME UNE VOITURE DE COMPÉTITION”

À cette époque, le règlement exigeait une production de 500 exemplaires minimum en 12 mois, et la Stratos recu son homologation en octobre 1974. Non pas que quiconque ait jamais prétendu que Lancia en ait bien fabriqué 500, les obligations du Groupe 4 étant plus tard ramenées à 400 unités. Selon les archives, 498 voitures seraient sorties des ateliers (ce chiffre étant encore considéré comme très optimiste par certains). L’usine a continué à en vendre jusqu’en 1978, et des spécialistes à en assembler jusqu’en 1979 à partir de composants.


Portant le numéro de châssis 1595, l’exemplaire de ces pages est une version Stradale fabriquée en 1976 et peinte en vert à l’origine. Son deuxième propriétaire aurait été un ami proche d’Enzo Ferrari et, quand son troisième et actuel propriétaire en a fait l’acquisition en 1986, elle avait été repeinte en rouge et noir, teinte qui a été conservée. Régulièrement utilisée depuis, elle affiche une belle patine. En fait, la Stratos fait partie des voitures qui supportent mal d’être trop impeccables.

Inscription stylisée.

Même en spécifications Stradale, difficile d’échapper à ce pour quoi elle a été conçue. Les longues portes ne pèsent que 6 kg, sont garnies d’un simple panneau rigide et comportent un
large vide-poche conçu pour accueillir les casques. Ne cherchez pas de manivelle de vitre, celle-ci est actionnée par un simple bouton qui glisse vers le haut ou le bas d’une rainure.


Les pédales sont légèrement décalées par rapport au centre de la voiture et vous avez l’étrange sensation d’avoir énormément de place au niveau des coudes, mais d’être étriqué plus haut. La position du volant par rapport au tableau de bord empêche de voir une partie du compte-tour, avec sa section jaune qui commence à 7000 tr/mn, et sa zone rouge à 8000 tr/mn.


Le célèbre V6 Dino a toujours été le choix préféré au départ mais, avant que Ferrari donne son accord à la fin de 1972, Lancia a envisagé diverses solutions de repli, dont son propre quatre-cylindres double arbre et même les V6 ou V8 Maserati. Finalement, le moteur de Maranello a été installé transversalement, de telle façon que l’accès à la boîte permettait des permutations rapides de rapports.


Il est aujourd’hui inconcevable d’imaginer la Stratos avec autre chose que ce brillant moteur. En version Stradale, il développe 190 ch (une culasse 24 soupapes mise au point pour les versions compétition permettait d’atteindre 300 ch), ce qui ne paraît pas énorme, mais rappelez-vous que la voiture pèse largement moins d’une tonne. Il suffit de dire que c’est amplement suffisant, avec une sonorité sublime : un grondement à bas régime qui se transforme en clameur aigüe en dévorant les tours. Si la forme ne vous a pas séduit, alors vous le serez par le bruit, aussi enivrant que tout ce qui pouvait résonner dans les spéciales de rallyes, antidote bienvenu aux innombrables quatre-cylindres d’Escort de la même époque.


La boîte cinq rapports est un peu récalcitrante tant que l’huile n’est pas chaude, et les freins semblent durs, mais une Stratos forme avec son pilote une osmose permettant des sensations sans égales. Une caractéristique due en partie à la position de conduite qui vous donne l’impression d’être assis sur la pointe d’une flèche, ainsi qu’à la combinaison d’un empattement court et de voies larges : la Stratos est 48 cm plus courte qu’une Dino, avec un empattement de 15 cm de moins, mais la largeur est à peu près identique. Pour respecter la configuration d’époque, cette voiture est dotée de ses jantes Campagnolo en magnésium 14 pouces d’origine, chaussées de Michelin XWX 205/70 VR14. Son propriétaire roule habituellement avec des Compomotive modernes et des pneus Yokohama, une combinaison qui facilite la conduite sur route.

Les capots basculants offrent une excellente accessibilité mécanique.

“CHAQUE PORTION DE ROUTE DROITE DEVIENT UNE EXCUSE POUR
ÉCOUTER SA GLORIEUSE SONORITÉ”


Même la Stradale bénéficie d’une suspension complètement réglable et, à vitesses raisonnables, elle vire sans inertie, dans un mouchoir de poche. Grâce à l’excellente visibilité à travers le pare-brise enveloppant, elle est extrêmement facile à placer, et la direction légère inspire le genre de confiance qui vous donne l’impression d’être capable de faire absolument n’importe quoi. Ce qui est évidemment trompeur car, avec 60 % du poids sur les roues arrière, elle passera in extremis en un clin d’œil de sous-virage à survirage. Peter Newton était à côté de Tom Pryce avant l’unique participation du pilote de F1 au Tour of
Epynt 1975 : « La Stratos n’est pas une voiture facile à conduire à la limite sur les surfaces dégradées, écrivait-il dans Autosport, comme le savent tous ceux qui ont vu Björn Waldegård se battre avec son Alitalia dans les spéciales, les mains voltigeant sur le volant. »


Il fallait certes le talent d’un Waldegård ou d’un Munari pour exploiter pleinement ses capacités, mais une fois que la fiabilité de la Stratos s’est montrée à la hauteur de ses qualités, alors Lancia disposait d’une arme invincible. Et polyvalente, en plus: Munari et Jean-Claude Andruet ont terminé deuxièmes à la Targa Florio 1973, avant que le premier ne fasse équipe avec Mario Mannucci pour gagner le Tour de France de la même année.

La Stratos a remporté quatre Championnats du monde des rallyes, en 1974, 1975 et 1976, avant que la politique maison n’amène Fiat à se détourner de Lancia, au profit de sa propre 131 Abarth. Mais la Stratos a continué à gagner entre les mains de pilotes privés, et Bernard Darniche a signé la quatrième victoire du modèle au Rallye Monte-Carlo 1979, et au Tour de Corse en 1981. En tout, elle a remporté 82 rallyes internationaux.


Mais en tant que voiture de route, la Stratos a été un échec commercial : non conforme aux règlementations américaines, elle n’a pas pu y
être vendue, non plus que sur certains marchés européens. En Italie, elle était à peu près au même prix qu’une Dino, mais Lancia ne s’en souciait guère. Le constructeur n’était intéressé que par ses victoires en rallye : une voiture de tourisme à succès ne faisait pas partie de ses préoccupations pour autre chose que l’homologation. Aujourd’hui, bien sûr, toutes les versions sont extrêmement désirables.


« Comme avec des nombreux modèles, les gens recherchent des exemplaires d’origine, corrects et qui n’ont pas été modifiés, explique le spécialiste William I’Anson. À l’époque où elles ne valaient pas grand-chose, elles ont été souvent sommairement retapées. Leur valeur a longtemps hésité; mais c’est une
vraie spéciale d’homologation, et une des voitures de rallye les plus emblématiques qui soient. La Stratos a vraiment accompagné le début de la pratique professionnelle du rallye. Lancia est arrivé et a gagné. Elle est plus rare qu’une Dino et, pour moi, devrait valoir plus. Quand vous êtes au volant, vous comprenez pourquoi elle a remporté un tel succès. C’est une vraie voiture de passionné et il faut vraiment se concentrer pour en tirer le meilleur. »

La récompense justifie cette concentration, cet engagement. En fait, il est difficile d’imaginer conduire une Stratos tranquillement. Chaque portion de route droite devient une excuse pour écouter sa glorieuse sonorité. Espérons que les prix élevés atteints par ces modèles (elles dépassent parfois 400000 €) ne les
condamnent pas à rester statiques, dans les collections. S’il est une voiture qui ne demande qu’à être utilisée, c’est bien la Stratos.

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