La Mini de Simca

Simca prototype Isabelle

© Classic & Sports Car / Tony Baker

Le projet 936, surnommé « Isabelle », était une petite Simca destinée à concurrencer la Mini britannique. Mais cette voiture astucieuse n’a jamais dépassé le stade du bureau d’études, comme l’explique Jon Pressnell.

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« Est-ce que ce truc a un moteur?… » Le photographe n’est pas vraiment impressionné par la petite boîte sur roulettes garée devant le musée Simca, à Poissy. Sa réaction est facile à comprendre: le Projet 936, surnommé « Isabelle », est presque une caricature, comme un dessin d’enfant en taille réelle.Mais pour comprendre, il faut rappeler le contexte. Il s’agissait d’un exercice d’étude qui remonte à la première moitié des années 1960, avec une voiture fabriquée de façon artisanale, presque sous la forme d’un projet personnel, sous l’autorité de Roger Dumas, directeur du département des études chez Simca.

Ce n’était pas une proposition aboutie, prête pour la série, et elle est née à une époque (1963-1964) où les acheteurs français plaçaient volontiers l’aspect pratique de la voiture avant son attrait esthétique. Mais le plus intéressant, c’est que cette traction avant à moteur transversal représentait une tentative intelligente et précoce de produire une concurrente de la Mini, avec les mêmes dimensions modestes mais l’avantage de quatre portes. Notez ces dates: 1963 et 1964. Cette voiture mérite que l’on s’y intéresse.

« C’est une voiture qui n’était petite qu’à l’extérieur »

Commençons par les dimensions. Avec une longueur de 3,08m, la Simca ne mesure que 2,5cm de plus qu’une Mini, mais avec un empattement plus long de 6,3cm, à 2,10m. En même temps, elle est environ 8,1cm plus large et 8,3cm plus haute. Ce qui laisse entendre une capacité de chargement au moins aussi bonne que la Mini alors que les voies plus larges de 6,3 et 6,6cm à l’avant et à l’arrière promettent une excellente stabilité sur la route.

Les priorités étaient définies clairement, comme le rappelle André Stance, ancien ingénieur Simca : « L’inspiration venait de la Mini, mais nous voulions une quatre-portes car les Français n’étaient pas très friands de voitures deux-portes. Par ailleurs, tout était fait pour optimiser l’espace, ce qui était la principale préoccupation. Comme pour la Simca 1000, c’est une voiture qui n’était petite qu’à l’extérieur, et tout avait été pensé pour exploiter au mieux l’espace intérieur. »

À part les vitres descendantes conventionnelles (pas d’éléments coulissants comme sur les Mini et R4), les solutions sont créatives et peu conventionnelles. Par exemple la banquette avant, avec dossiers séparés, est montée sur une traverse qui rigidifie la carrosserie. Les sièges minces permettent de gagner de la place et, alors que l’avant présente un plancher plat, il est creusé à l’arrière pour que les occupants puissent glisser les pieds sous la banquette avant. Un frein de parking au pied peut paraître bizarre, mais il est moins gênant qu’au milieu de l’habitacle et, dans le même esprit, le levier de vitesses est au volant.

En fait, il y a vraiment beaucoup d’espace, « autant que dans une Simca 1000, » affirme Stance, avec en plus une banquette arrière rabattable commode. Le coffre est de bonne taille et, comme sur la Mini, le couvercle est articulé à la base et la plaque d’immatriculation bascule, ce qui permet de rouler coffre ouvert pour les marchandises longues. Il n’est pas encombré par la roue de secours, logée dessous, dans un berceau : peu gênant mais salissant… La rançon de tout cela est que la place réservée à la mécanique
est extrêmement réduite. « C’était particulièrement notable sous le capot, où l’espace était très étriqué, indique Stance. Tout le monde disait qu’il aurait fallu laisser plus de place au compartiment moteur. »

Le moteur en question est en toute logique le quatre-cylindres 944 cm3 à culasse alliage de la Simca 1000 monté transversalement, avec une boîte de vitesses à l’extrémité. Celle-ci ne correspond pas à l’équipement standard de la Simca 1000, mais c’est une semi-automatique Ferodo trois rapports, qui était disponible en option. « N’oubliez pas que le point de départ était de créer une petite citadine, pas une voiture pour partir en vacances à cinq, avec armes et bagages, » rappelle Stance

La célèbre Mini était la cible clairement visée par la Simca

Le reste de la mécanique est assez proche de ce que l’on allait trouver plus tard sur la Simca 1100 ; la conception des deux voitures date grosso modo de la même période, les spécifications de la 1100 étant déjà largement définies à l’été 1963. On trouve donc des barres de torsion à l’avant, avec un triangle inférieur et un moyeu relié à un bras supérieur. L’arrière comporte des bras tirés, des barres de torsion transversales et des amortisseurs télescopiques, système qui prend peu de place et que l’on retrouvera sur la Peugeot 205.

Une conception intelligente et une mécanique simple : il ne restait plus qu’à emballer l’ensemble sous une forme qui ait la fonctionnalité séduisante de la Mini. Et là, il faut bien avouer que la 936 manque sa cible. Des petites roues de 10 pouces sous une carrosserie haute ne sont pas un bon point de départ, et les lignes anguleuses, le capot tombant et la calandre banale ne sont pas non plus très heureux. Il est probable que cette voiture n’a jamais bénéficié des talents de Mario Revelli de Beaumont, le styliste italien de Simca qui avait pris sa retraite en 1963. Et peut-être Dumas était-il plus ingénieur que styliste. Quelle que soit l’explication, il est probable que, si le projet avait connu une suite, le dessin aurait été retravaillé.

Alors pourquoi la 936 est-elle restée sans lendemain ? Il existe plusieurs possibilités. La première est tout simplement que Chrysler, actionnaire principal de Simca, n’ait pas vu l’intérêt de produire une petite voiture, même si elle répondait à une attente du public. Après tout Georges Hérail, directeur de Simca, avait déjà fort à faire à convaincre les responsables de Chrysler de le laisser lancer la Simca 1100 : ils souhaitaient une voiture plus grosse et plus “américanisante”, et certainement pas une traction avant. Hérail a fini par avoir gain de cause, mais il s’est probablement senti peu disposé à se battre pour une autre traction avant compacte. Un autre problème était le coût probable de la 936, les marges étant déjà réduites sur la 1000, ainsi que la question des ressources techniques limitées de Simca.

“SI LA 936 AVAIT ÉTÉPLUS SOIGNÉE, SIMCA
AURAIT PU DISPOSER D’UNE CONCURRENTE
DE LA MINI”

« La 936 aurait coûté plus cher à produire que la Simca 1000 (c’est ce qui a été dit à l’époque), qui n’était pas une voiture coûteuse à fabriquer, affirme Stance. Je suis conscient aussi que certains aspects pouvaient poser problème en termes de production, s’il fallait sortir 1 000 voitures par jour. Mais surtout, ma supposition est que Simca n’avait pas la capacité de développer deux modèles simultanément. Le bureau de design était petit, donc il a fallu faire un choix. »

Peut-être aussi cette voiture a-t-elle donné le sentiment d’être le projet “sauvage” d’un seul homme ; la 936 était d’ailleurs connue chez Simca comme “la voiture de Dumas”. « Je pense que le projet s’était fait de façon un peu trop personnelle et ça n’a pas plu à tout le monde, si bien qu’ils ont demandé à Dumas d’arrêter, » précise Jean-Claude Fredoux, également ancien ingénieur Simca.

Bien que la décision soit compréhensible, il est bien dommage d’avoir mis un terme à la 936, pour la laisser prendre la poussière sur le site d’essai de Mortefontaine. La Simca 1000 a terminé sa carrière comme un vestige embarrassant, prolongé jusqu’en 1978, et elle n’a jamais été remplacée. Si le concept de la 936 avait été plus travaillé et rendu plus agréable à l’œil, Simca aurait pu disposer d’une citadine chic, concurrente de la Mini, lancée bien avant les Renault 5 et Peugeot 104. Au lieu de cela, les Américains ont choisi d’investir dans la Chrysler 180, une des erreurs les plus grossières de l’histoire de l’industrie automobile française.

Mais peut-être Roger Dumas a-t-il eu le dernier mot. Un de mes contacts chez Simca m’a indiqué qu’il était passé chez Renault peu de temps après. Est-ce que le projet Isabelle a contribué à donner forme à la Renault 5, énorme succès commercial ? Il serait intéressant d’en savoir plus…

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