
Rares sont les supercars déchaînant autant les passions que la Ferrari F40. James Page se plonge dans l’histoire de cette machine d’exception pour comprendre pourquoi elle exerce unetelle fascination.
Rien n’impressionne autant qu’une F40. Basse, large et agressive, elle attire les foules dès le déchargement du camion de transport. Les téléphones se tournent fébrilement dans sa direction pour enregistrer les manœuvres, le grondement impatient du V8 contrastant avec la sonorité manipulée électroniquement des prima donnamodernes.
Cette voiture a orné les murs de la chambre de toute une génération de passionnés dont l’imagination s’enflammait à la lectures des articles évoquant la radicalité de la F40, sa valeur très élevée, ses performances sauvages. Selon la légende, elle pouvait tourner à Fiorano plus vite que la (mauvaise) monoplace 1980 de la Scuderia, lechampion Gerhard Berger avouant s’être fait surprendre par l’emballement des roues arrière. En quatrième. À 190km/h.
Suite logique de la 288GTO (elle était basée sur l’Evoluzione, produite à cinq exemplaires), la F40 tenait son nom du 40eanniversaire de la marque et elle est la dernière Ferrari lancée du temps d’Enzo. Elle était équipée d’un V8 à 90° double turbo, issu de la 288 et dont la cylindrée était modifiée, de 2855 à 2936 cm3. Le taux de compression augmentait également, tout comme la pression (de 0,8 à 1,1 bar). Chaque cylindre recevait deux injecteurs et la puissance passait de 400 à 478ch. Le chef des essais, Dario Benuzzi, a commencé sa carrière en 1971 chez Ferrari et a contribué à la mise au point de nombreuses voitures de route. Il se souvient du projet F40 “comme si c’était hier! Un de nos gros problèmes venait du contrôle du moteur,” explique-t-il. “Il y avait un système d’injection électronique Weber-Marelli et des turbos IHI, et les premières versions étaient inconduisibles. L’ingénieur Weber venait à Maranello et nous testions la voiture. Puis il repartait à Bologne et reconfigurait le système de gestion. Ces allers-retours ont duré longtemps. Nous faisions nos essais à Fiorano, mais aussi sur la route, dans la région de Fanano et des montagnes au sud de Maranello. Pour les tests d’accélération et freinage, nous utilisions la base aéronautique de Rimini.”
Le choix s’est porté sur des turbos IHI bien que la 288 GTO ait été équipée de KKK, comme les voitures de Formule 1 de l’époque. “Nous avons essayé les deux marques, bien sûr, et pour moi la meilleure solution était les IHI. Mais avec la connexion F1, ce n’était pas un choix évident. Les ingénieurs, Materassi et Bellei, ont dit que nous devions en référer au Commendatore. Ce que nous avons fait, et il m’a demandé, “C’est toi qui dois conduire la voiture, quelle solution préfères-tu ?” Quand je lui ai répondu, il a dit qu’il parlerait à son fils, Piero, et qu’il informerait KKK.
Nous avons préparé deux prototypes, un équipé de turbos KKK et l’autre de IHI, et avons invité les ingénieurs KKK à venir les essayer à Fiorano. Ils ont reconnu que les IHI étaient meilleurs et ont essayé d’améliorer leur version, mais notre choix est resté sur les IHI.”
L’autre problème qu’a rencontré Benuzzi était le choix de pneus : “Le Pirelli P Zero a été créé spécialement pour la F40. Nous avons essayé un nombre infini de spécifications différentes avant de trouver la bonne composition et forme de pneu. L’ingénieur Mezzanotte était responsable du développement chez Pirelli et me souviens de lui en train de râler et de limer les pneus arrière car ils bougeaient trop!
Le dernier aspect concernait les disques flottants. Il y avait beaucoup de vibrations et nous avons essayé de nombreux moyeux différents avant de résoudre le problème. Nous devions aussi trouver un bon compromis entre l’efficacité et l’effort à la pédale, car il n’y avait pas d’assistance.”

“SELON LA LÉGENDE, LA F40 TOURNAIT À
FIORANO PLUS VITE QUE LA MONOPLACE DE 1980”
Le dernier aspect concernait les disques flottants. Il y avait beaucoup de vibrations et nous avons essayé de nombreux moyeux différents avant de résoudre le problème. Nous devions aussi trouver un bon compromis entre l’efficacité et l’effort à la pédale, car il n’y avait pas d’assistance.”
Les essais à hautes vitesses ont eu lieu à Nardo. “Le principal problème est venu d’une prépondérance sur l’arrière de l’équilibre aérodynamique, si bien que l’avant se levait un peu à vitesse élevée. En fait, les toutes premières versions avaient un becquet arrière assez prononcé, que nous avons réduit. Je me souviens avoir atteint 391 km/h à Nardo avec la version LM.” Benuzzi indique que la F40 a toujours été conçue pour être une machine de course. Le confort des occupants était donc le dernier souci, ce qui est une évidence quand vous voyez l’habitacle. La climatisation est présente uniquement à cause de la chaleur intense dégagée par le moteur. Tout le reste (moquettes, garnitures de portes, poignées de portes, radio) a été supprimé pour gagner du poids.

Lors du lancement en 1987, Enzo lui-même affirmait : “Je souhaite que nous produisions une voiture qui nous rappelle Le Mans et la GTO.”
Chez Pininfarina, Leonardo Fioravanti était en charge du dessin. “Dans les années 1960, il était possible pour un pilote privé d’acheter une voiture qui était très proche des voitures de course,” affirmait encore Enzo. “Avec la F40, nous avons fabriqué une machine qui ne se plie pas aux limitations des temps modernes… Cette voiture, pour nous, a une signification particulière. Ce monde comporte trop d’ordinateurs, trop de technologie et ici nous avons retrouvé la conception d’une voiture en étant guidé par l’émotion, comme par le passé. Il ne s’agit pas de nostalgie mais nous prouvons que, même aujourd’hui, il est possible de réaliser une voiture avec une approche humaine.”
À l’époque, certains considéraient la spartiate F40 comme un anachronisme, surtout à cause du lancement récent de la 959, le tour de force technologique de Porsche. En fait, toute la philosophie de la voiture italienne ne pouvait être plus éloignée de celle de sa concurrente de Weissach.
Comme l’écrivait Roger Bell dans le magazine Car, elles partageaient le même univers “seulement pour ce qu’elles font, mais pas dans la manière de le faire. La Porsche est de loin la plus sûre, la plus indulgente, et la Ferrari la plus exigeante et la plus excitante.”

Mel Nichols était alors essayeur pour le magazine Autocar et se souvient, “la Porsche avait un spectre de performances plus large, et je me rappelle avoir pensé qu’elle était plus significative en termes de progrès automobile. La Ferrari était beaucoup plus radicale, plus un jouet de week-end. Je ne sépare pas la 959 et la F40 en tant que références: elles sont inextricablement liées. La 959 nous a offert un nouveau domaine de performances et la F40 était une autre voiture dans cet univers.”
Nichols a sans doute été le premier journaliste à prendre le volant d’une F40, “un grand évènement devait être organisé en 1987 à Imola pour l’anniversaire, et nous avons appris que la F40 y serait. J’ai pris l’avion le vendredi pour Modène avec un photographe et j’ai attendu toute la journée à Maranello. Ils m’ont dit que la voiture était partie en essai, et qu’on nous laisserait peut-être la voir et nous assoir dedans, mais pas la conduire. La voiture n’est pas rentrée avant 6 heures du soir, si bien que nous sommes revenus le lendemain et, au milieu de la matinée, j’ai pu couvrir quelques tours à Fiorano à côté de l’essayeur Ferrari. Puis je l’ai accompagné jusqu’à Imola.
Nous sommes retournés en mai suivant à Fiorano pour l’essayer. À la fin de 1987, j’avais passé deux jours en Allemagne avec une 959 et connaissais donc ses qualités étonnantes. La Ferrari avait un attrait beaucoup plus “brut”. Vous pensiez “c’est la Ferrari la plus rapide de tous les temps”, ce qui pouvait être intimidant. Mais en fait vous pouviez entrer en harmonie avec elle, et elle n’était pas vicieuse ; mais c’était sur la piste. Peut-être qu’en couvrant une longue distance dans des conditions différentes, elle aurait pu se montrer capricieuse, mais ce n’est pas l’impression qu’elle m’a donné.
Comparée aux turbos actuels, la F40 avait un aspect “on-off”. Au-dessous de 3 000 tr/mn, il ne se passait pas grand-chose, puis elle décollait littéralement. À basse vitesse il y avait une touche de sous-virage mais, quand l’accélération devenait frénétique, la voiture se transformait. Elle passait très rapidement du sous-virage léger à un franc survirage. Le point très positif, c’est que vous pouviez le ressentir. Une fois en confiance, vous pouviez obtenir l’attitude que vous souhaitiez.”

“LE PROBLÈME DES JOURNÉES CIRCUIT
AVEC UNE F40, C’EST QUE VOUS DEVENEZ
UNE CIBLE POUR TOUT LES AUTRES !”

Dans le magazine Autosport, en juillet 1988, Pierre Dieudonné confirmait : “Au volant, vous vous sentez comme le dompteur d’un animal sauvage. Mais en fait, elle est extrêmement docile… Et quand la voiture commence à vous
échapper, il est facile de retrouver de l’adhérence.” Nichols était un essayeur extrêmement expérimenté et Dieudonné un excellent pilote, mais leurs remarques trouvent un écho chez le propriétaire de cette F40.
“Elle était plus facile à conduire que je le pensais,” reconnaît Peter Bullard en évoquant sa première prise en main. “L’habitacle était toutefois plus bruyant et la personnalité spectaculaire correspond à ce que vous imaginez. L’embrayage est lourd, la boîte est lourde, la direction est lourde, mais on s’y habitue facilement. Elle est toutefois plus difficile à conduire vite. Il n’y a pas de filet de sécurité, et un pilote moyen peut se retrouver facilement en situation délicate…”
Bullard a acheté la voiture en août 2004, alors qu’il vivait à Singapour. Bien qu’il reconnaisse qu’il “n’aurait jamais imaginé posséder une F40”, il s’intéressait aux Ferrari. Un de ses amis, marchand en Angleterre, avait une 512 TR et la F40. “C’était ma première Ferrari et je ne l’avais même pas vue.
Une fois de retour d’Extrême-Orient, il rattrape le temps perdu : “Je me souviens avoir reçu un e-mail du Ferrari Owners’ Club m’annonçant qu’ils m’invitaient à une journée circuit à Silverstone. Je ne connaissais pas bien ce circuit et ne suis pas vraiment un pilote, mais c’était une bonne occasion. Le problème quand vous êtes sur un circuit avec une F40, c’est que vous devenez une cible pour tous les autres!
Mais sur le chemin du retour, la route est tranquille et tout s’est mis en place. Si vous maintenez la pression du turbo en troisième et en quatrième, la puissance est abondante, le bruit est fantastique et vous avez l’impression d’être au Mans. Voilà, c’était le début de la relation qui s’est établie avec cette voiture.
Depuis, je parcours en moyenne 1000 km par an, avec une révision annuelle, mais c’est une voiture bien construite et fiable. J’ai un jeu de bagages spéciaux, mais bien inutile car vous ne partez pas en voyage avec une F40. Les phares sont médiocres et quand il pleut elle se remplit de buée. Et à moins d’être au milieu de l’hiver, vous appellerez à l’aide si la climatisation s’arrête, tellement il fait chaud. En hiver, je ne l’utilise guère et je me dis que je devrais la vendre. Puis au printemps je la sors et oublie tout!”

Trente ans après le lancement de la F40, et 25 ans depuis l’arrêt de la production, la légende ne cesse de s’amplifier. “Pour Enzo, cette voiture était vraiment une prise de position,” conclut Nichols. “Les ingénieurs l’ont abordée avec une vraie passion et une conscience de leur mission.”
“C’est une voiture légère, avec beaucoup de puissance, et c’est ce qui procure tout le plaisir de conduite,” affirme Benuzzi. “Le travail que nous avons effectué avec Weber sur la facilité d’utilisation a fait une énorme différence. Bien sûr, le comportement était excellent lui aussi. Donc l’ensemble est de haut niveau! Je pense que si nous avions pu installer une assistance de freins et de direction, la F40 serait encore une concurrente sérieuse parmi les supercars actuelles.”
Les mesures qui caractérisent la F40 (478 ch, 0 à 160 km/h en 8,3 s, 323 km/h) ont été depuis
longtemps dépassés par les dernières générations de supercars. Mais ce n’est pas une machine
que vous évaluez avec des chiffres. Ils ne traduisent pas ce que vous ressentez, à quel point les sensations sont viscérales et le charisme de la voiture est envoûtant. En revenant à ses racines et en plaçant l’émotion pure au cœur de la F40, Enzo Ferrari a créé la meilleure supercar de tous les temps.
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