
Superbement conçue, la famille Flaminia sort aujourd’hui de l’ombre de l’Aurelia et mérite d’être redécouverte. C’est ce qu’a fait Martin Buckley en s’intéressant à toute la gamme, depuis la sobre berline jusqu’à l’exotique Super Sport.
Si l’Aurelia a constitué un jalon dans les années 1950, la Flaminia, dans la décennie qui a suivi, a signé le glas des ambitions de Lancia en matière de grosses berlines. Bien que partiellement semblable à son illustre devancière (et matériellement meilleure à tous niveaux), elle n’a pas réussi à enflammer de la même façon l’imagination des acheteurs, ni à s’adapter à un environnement qui évoluait rapidement. La Flaminia Berlina a été dévoilée au Salon de Genève 1957 avec une discrétion typique de la marque. Ce modèle, fabriqué en quantité ridiculement faible et qui perdait de l’argent, n’a semble-t-il été maintenu en vie pendant 13 ans que pour sauver l’honneur de Lancia en tant que constructeur de berlines et de GT haut de gamme.
Pourtant, dans ses belles années, la Flaminia était aussi un symbole de la fierté italienne et du charme de la Dolce Vita. C’était une voiture qu’adoraient les stars du cinéma (en particulier Bardot et Mastroianni) et les pilotes automobiles. Fangio et Peter Collins utilisaient une berline, Enzo Ferrari étant apparemment convaincu que la GT offrait « le meilleur comportement des voitures du moment ». Avec l’Aurelia, la Flaminia partageait le concept général mais seulement une partie de la mécanique. Son nouveau V6 de 2,5litres et 100ch était différent dans le détail (et permettait d’autres augmentations de cylindrée), présentait une course plus courte et avait un fonctionnement plus doux, grâce à un couple plus abondant. Avec un dessin de culasses plus moderne et un meilleur refroidissement que les premiers V6 de Vittorio Jano, la voiture était bien équilibrée grâce à une boîte-pont comportant quatre rapports, tous synchronisés. On retrouvait à l’arrière un système De Dion, mais la célèbre suspension avant coulissante laissait place à un ensemble composé de triangles inégaux et ressorts hélicoïdaux, plus moderne et réclamant moins d’entretien.
Le changement le plus frappant provenait de la carrosserie Pininfarina. Sa ligne simple et pure semblait traduire l’entrée de Lancia dans une nouvelle ère, sous la direction du roi du ciment Carlo Pesenti, et de son nouveau directeur technique le professeur Antonio Fessia, responsable de la Flaminia mais aussi des Flavia et Fulvia à traction avant.
Aussi élégante et civilisée fût-elle, la Flaminia souffrait des problèmes Lancia habituels : trop de poids, trop de sophistication coûteuse mais invisible (les connaisseurs s’accordent généralement à dire que la Berlina représentait le standard de qualité le plus élevé jamais atteint par Lancia) et pas assez de puissance. Mais si 100 ch pour déplacer 1630 kg ne risquaient pas de faire de la berline un foudre de guerre, les 210 km/h dépassés par les dernières versions de coupés Zagato étaient plus que respectables.
Comparée à des concurrentes comme les Mercedes, Jaguar ou voitures de marques américaines,
la Flaminia semblait peu rapide et chère. Les subtilités de sa superbe qualité de fabrication, ainsi que son confort et sa tenue de route exemplaires, étaient perdues pour une génération d’automobilistes qui souhaitaient une puissance abondante et des assistances en tous genres dans leurs berlines et grandes routières de prestige.

La Flaminia venait d’un autre monde, dont la logique plus patricienne contrastait bizarrement avec le modernisme anguleux de la carrosserie “tricorps” mise au point sur les shows cars Florida de Farina. Cette voiture était issue d’un esprit qui était encore convaincu que les clients Lancia traditionnels seraient toujours disposés à payer plus cher pour le meilleur, mais qui n’avait pas détecté l’évolution des goûts et des attentes des utilisateurs.
Curieusement, cette approche résolument puriste trouvait mieux sa place dans les versions deux portes dérivées de la Berlina. En fait, l’idée d’un V6 tout alliage et d’une transmission boîte-pont permettant une répartition des poids 50/50, semblait plus naturelle sous la carrosserie des Flaminia GT et Sport réalisées par Touring et Zagato. D’ailleurs, le concept trouvait presque son équilibre commercial avec l’apparition du Coupé Pininfarina, en grande partie en acier et qui a été de loin la version la plus diffusée. Entre 1959 et 1967, 5284 exemplaires de cette voiture élégante et spacieuse ont trouvé un acheteur, soit 1341 unités de plus que la berline du catalogue.
Bien qu’il y en ait certainement d’autres à découvrir, la Berlina de Nick Heywood Waddington semble être en Angleterre la seule en état de rouler. C’est une version 1965 dotée du moteur 2,8 litres, donc disposant de 125 ch et atteignant 177 km/h. Elle fait partie des 599 exemplaires de 2,8 litres produites à partir de 1963.
Les voitures de première série, avec leurs freins à tambours et les quatre essuie-glaces bizarres de lunette arrière, constituent le gros de la production de berlines, avec 2 695 exemplaires. L’apparition en 1959 du Coupé Pininfarina a éclipsé la version quatre portes, ce qui explique pourquoi les Berlina 2,5 litres de deuxième génération (freins à disque et 110 ch) sont si rares : 549 exemplaires de 1961 à 1963. Avec un prix qui n’était pas loin de la Silver Cloud, très peu de conduites à droite ont été commercialisées en Angleterre, et la conduite à gauche de Heywood Waddington a été trouvée en Italie il y a quelques années. Sa belle combinaison de teinte bleu foncé et de sièges en drap gris est typique d’un modèle qui aurait pu être vendu neuf à une administration italienne.

Sa position de conduite et son grand volant donnent à la Berlina quelque chose de formel, si bien qu’il paraît presque déplacé de se trouver seul à bord. Elle donne une telle impression de prestige protocolaire que tous les évènements qui ne sont pas une affaire d’État ne paraissent pas au niveau de son statut. Toutefois, l’espace mesuré pour les jambes, à l’arrière, montre que ce n’est pas une championne d’optimisation de l’espace. À l’intérieur, elle dégage cette odeur Lancia particulière, mélange de colles en fermentation, de plastiques et, sans aucun doute, de tapis en caoutchouc gris. Cette voiture ne comporte pas d’essuie-glaces à l’arrière mais, comme toutes les Berlina, elle est dotée des déflecteurs commandés par dépression, via des boutons chromés à gauche du volant.

D’une certaine façon, le raffinement et la souplesse du V6 culbuté compensent le manque de puissance. Ce moteur est conçu pour une conduite douce, avec un troisième rapport vif et polyvalent qui permet à la voiture aussi bien de rouler en ville à 20 km/h que d’accélérer sans heurt jusqu’à 110 km/h (preuve du bienfondé de l’alimentation par un seul carburateur), le régime atteignant sans faiblir 5 500 tr/mn.
Le levier de vitesses au volant est tellement agréable qu’il ne vous fait pas regretter la boîte automatique, ni une des 48 versions Saxomat semi-automatiques sans pédale d’embrayage. Et même si vous pouvez percevoir qu’une assistance apporterait plus d’agilité à basse vitesse, il y a quelque chose de satisfaisant dans la fluidité mécanique de la direction, qu’un servo pourrait gâcher. La Berlina est une voiture imposante, mais elle ne flotte pas pour autant. Elle se comporte avec subtilité sur ses étroits Michelin X et présente une direction précise et neutre, dont le caractère direct contredit ses plus de quatre tours de butée à butée. Sa personnalité vive et bien élevée se montre remarquablement constante sur les versions plus sportives.
Curieusement, les différences sont très faibles en termes d’agrément de conduite entre le Coupé 2.5 3B de Charles Frodham (une des 232 conduites à droite de cette version Pininfarina) et la Berlina. Le premier donne juste l’impression d’une voiture plus compacte et moins statutaire, qu’il est possible d’utiliser régulièrement. En plus d’un confort un peu plus ferme, les principales différences proviennent du levier de vitesses au plancher (qui tombe mieux sous la main, avec un mouvement plus naturel) et de l’impression plus dynamique du V6, tout aussi souple et agréable en sonorité, avec un couple
qui se manifeste particulièrement sur la plage de régime 3500-4 500 tr/mn.
Les 3200 premiers exemplaires produits par Pininfarina étaient dotés d’un moteur 119 ch à simple carburateur, avec un arbre à cames sport : l’appellation 3B correspond au carburateur Solex triple corps qui équipait le coupé à partir de 1962. Les 2,8 litres 3B plus tardives bénéficiaient de 136 ch et pouvaient recevoir des vitres électriques. Farina a inauguré une poignée sur les sièges avant qui se débloque quand les portes sont ouvertes et, avec les évidements dans les dossiers pour les genoux des passagers, l’espace arrière est assez généreux. Dans l’esprit, c’est une berline deux portes.
La sellerie en cuir fauve présente une belle patine d’origine et le tableau de bord affiche les instruments Jaeger de grande taille, avec un grand volant à sculptures et les interrupteurs sans inscription que l’on retrouve sur toute la famille Flaminia. Frodham adore sa voiture : il y est parfaitement à l’aise malgré sa taille de 1,95 m et lui a récemment témoigné son attachement en lui offrant une peinture complète.

Touring, le carrossier de Milan, a produit ses Flaminia en aluminium de 1959 à 1965, en trois versions différentes. La GT à simple carburateur était suivie en 1960 par une Convertible, et les deux passent en 1961 aux spécifications 3C, avec trois carburateurs Weber et une puissance de 140 ch. La 2,8 litres 3C prend la suite en 1963, elle est complétée par une version 2+2 dénommée GTL et qui comporte un pavillon plus haut, un capot articulé à l’avant, des portes plus longues et des sièges plus substantiels. Avec 300 exemplaires produits, c’est la plus rare des Flaminia Touring, et la seule qui manque à notre article. La version Convertible, qui appartient à Justin Fish, est un exemplaire à simple carburateur, alors que la GT noire de Ryk Heuff est une 2.8 3C, toutes deux à conduite à gauche : selon les archives, sur les 2 750 exemplaires de Flaminia à carrosserie Touring, seulement 21 étaient à conduite à droite.

mais elle accorde plus d’importance à l’agilité qu’aux performances pures.
“FREINS PUISSANTS, CAPACITÉ À VIRER BIEN À PLAT ET COMPORTEMENT
IMPERTURBABLE DÉPASSENT L’ENVIE UN PEU BASIQUE DE PERFORMANCES PURES”
Ces deux voitures sont peut-être celles qui présentent la séduction la plus conventionnelle, avec de jolies découpes de portes, un pare-brise bas, des feux arrière en diamant (très chers) et une ligne effilée qui met en valeur les grandes jantes en tôle beige, même si l’entourage un peu bizarre des quatre phares n’est pas forcément du goût de tous. Il se dégage de la Convertible une forte bouffée de charme tropézien ce qui, en termes de séduction, la place juste derrière le spider Aurelia. De son côté, le profil plus viril de la GT laisse imaginer une traversée de l’Europe à vitesse élevée.

À l’intérieur, les fauteuils de la Berlina et du Coupé Pininfarina laissent place à des sièges plus bas et plus fins, avec un grand volant à jante bois. Le tableau de bord en aluminium peint présente une découpe symétrique pour l’emplacement des instruments et de la boîte à gants. Il n’y a pas de console centrale et le tunnel de transmission est assez discret.
Une fois en route, la GT et la Convertible sont fascinantes à conduire avec leurs freins puissants et progressifs, leur capacité à virer bien à plat et leur comportement imperturbable et civilisé qui dépasse l’envie un peu basique de performances pures. Dans le coupé, les trois Weber émettent une sonorité riche et profonde (ils font vraiment une différence quand ils sont bien réglés), mais les deux voitures offrent une vivacité de bon aloi plutôt que des performances brillantes, ce qui ne revient pas du tout à dire qu’elles sont lentes.
Bien qu’elles aient été produites en quantité encore plus mesurée (526 exemplaires), les Sport et Super Sport ont connu une histoire beaucoup plus compliquée qui semble souligner l’existence marginale de la Flaminia au sein de l’empire Lancia, de plus en plus chaotique dans les années 1960. Par rapport aux Flavia et Fulvia, commercialement plus importantes, le modèle était devenu une sorte de distraction.
Les 99 premières Flaminia Sport reçoivent des phares profilés et le moteur 119 ch, et atteignent 180 km/h. À partir de 1960, 100 autres exemplaires à simple carburateur et phares non couverts sortent encore des ateliers, jusqu’à l’apparition de la Sport 3C dotée du moteur 140 ch à trois carburateurs. Zagato a produit 174 exemplaires de ce modèle en 1962 et 1963, toujours avec phares découverts, presque au niveau de la calandre. Ensuite, 70 exemplaires ont vu le jour avec le moteur 2,8 litres 3C de 146 ch, bien que les chiffres de production soient un peu perturbés par le fait que de nombreuses versions des débuts ont été modifiées avec des V6 à trois carburateurs. Les phares profilés ont fait un retour sur la Super Sport (1964-1967, 150 exemplaires), avec pan coupé à l’arrière et des carburateurs Weber DCN de 40 mm, la puissance passant à 150 ch.
Le coupé Sport 1963 de James Henderson a été complètement reconstruit par Thornley Kelham, et a été équipé d’un moteur 2.8 Super Sport. De son côté, Peter Blenk possède sa Super Sport 1966 depuis 15 ans et elle partage son garage avec une Aprilia à restaurer.
Ces voitures à carrosserie Zagato sont faites de panneaux fluides en aluminium, de pavillons ramassés à double bosse, de chromes réduits au minimum, de sièges sportifs en cuir et de vues sensuelles sur leur avant musclé. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, ces voitures donnent l’impression d’une beauté sur mesure et, plus que les autres Flaminia, vous n’y êtes pas simplement installé, mais elles vous habillent comme un costume bien coupé. Vous avez parfaitement conscience de leur gabarit et la connexion étroite qui s’établit avec la voiture, par le biais du siège et des mains sur le volant, donne à la conduite des Sport et Super Sport une sensation encore plus excitante. Elles restent pourtant douces et souples, avec la même commande précise et directe du morceau d’acier coudé qui fait office de levier de vitesses.
En enchaînant les rapports, ces voitures accélèrent avec une agressivité mesurée qui rend les choses intéressantes. L’avant se dirige là où l’orientent vos mouvements légers au volant, en restant d’une parfaite neutralité. Si vous perdez de l’adhérence, c’est l’arrière qui est le premier à décrocher mais, parce que vous êtes placés en parfait équilibre entre le moteur et la boîte, jambes tendues, une telle situation est rapidement détectée et facilement contrôlée.
La production totale des Flaminia n’avait même pas atteint 13000 exemplaires quand les comptables de Fiat (sans aucun doute horrifiés par ce qu’ils ont découvert) y ont mis un terme en 1970. Aujourd’hui, après des années à l’ombre de l’Aurelia, l’intérêt pour la Flaminia augmente, de même que les prix. En fait, les Zagato sont chères depuis longtemps et dépassent souvent 300000 €.
Même une GT à carrosserie Touring peut atteindre 100 000 €, et vous pouvez compter 50 000 à 80 000 € de plus pour acquérir une Convertible.
Comme on peut le supposer, les bonnes affaires se trouvent du côté des Berlina et des coupés Pininfarina, dont les meilleurs dépassent rarement 30000 €. Parmi ces voitures à carrosserie acier, il existe encore un grand nombre d’exemplaires à restaurer pour les masochistes courageux.
J’adorerais en avoir une au garage, quelle qu’elle soit. Une série complète serait bien sûr encore mieux, mais curieusement (ou non), ce sont les berlines et coupés Pininfarina qui ont ma préférence.
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