
Seuls trois exemplaires de Rover 3 litres ont été transformés en cabriolet, dont un par… Henri Chapron ! Martin Buckley évoque leur histoire, tout en prenant le volant de cette conversion par FLM Panelcraft.
Que trois carrossiers différents aient envisagé au début des années 1960 une version décapotable de la Rover P5 montre à quel point un tel modèle était attendu. Ce luxueux cabriolet quatre places aurait pu séduire les acheteurs d’Alvis 3litres ou répondre à ceux qui ne pouvaient justifier uneBentley ou une Mercedes. Tout comme le prototype de break réalisé plus tôt (en réponse à la Humber Super Snipe), un cabriolet aurait pu agréablement élargir lagamme P5, voiture perçue comme magnifiquement construite et très raffinée, mais un tantinet ennuyeuse.
Cela dit, Rover parvenait à l’époque à vendre toutes les 3 litres que l’usine avait la capacité de produire; le constructeur bénéficiait de la reconnaissance royale (la préférée de la reine était une berline P5, puis une P5B) et pouvait orienter ses clients moins conventionnels vers le nouveau Coupé P5 à pavillon surbaissé. La future P6 2000 réclamant l’attention des ingénieurs et la production de Land-Rover tournant à plein régime, on peut imaginer qu’un cabriolet 3 litres ait pu être alors considéré comme un caprice inutile.
Bien qu’aucun de ces trois prototypes n’ait été fabriqué à l’usine, l’idée est venue au départ de chez Rover, à Solihull. Le constructeur a commandé le premier cabriolet 3 litres à Henri Chapron, choix logique puisque celui-ci transformait pour Citroën les DS en cabriolet. Il était donc habitué aux opérations réclamées par la dépose du pavillon d’une berline monocoque et la condamnation des portes arrière au profit d’éléments plus longs à l’avant. Les négociations se sont engagées via Franco Britannic Automobiles.
Les raisons ayant poussé Rover à s’adresser à un carrossier étranger sont incertaines, mais ce n’était pas une première : le coupé et le cabriolet P4 Pininfarina du début des années 1950 montrent que la marque n’hésitait pas à utiliser les ateliers continentaux. Rover pensait sans doute que le choix de Chapron donnerait à la voiture un cachet de sophistication supplémentaire. Fabriquée en 1962 sur la base d’une 3 litres Mk1, la version Chapron, avec sa capote bien conçue et ses baguettes latérales chromées, était sans doute la plus réussie de ces Rover découvrables. Elle devait être envoyée à Solihull une fois terminée, mais elle semble avoir disparu peu après sa fabrication et son destin reste mystérieux.
En mars 1963, Hermann Graber présentait à Genève une 3 litres MkII découvrable, mais sans que l’on connaisse la raison précise. Peut-être une commande spéciale, ou une façon d’attirer l’attention ; elle était certainement fabriquée avec le même soin que les Alvis spéciales du carrossier suisse, même si elle n’était pas tout à fait aussi séduisante que la Chapron. Cette voiture survivrait aujourd’hui en Suisse, à restaurer, mais ne s’est pas montrée depuis des années. La P5 présentée ici a été produite par FLM Panelcraft, de Londres, pour George Hansson, ingénieur suédois résidant en Angleterre. À eux seuls, les travaux lui ont coûté à l’époque 700 £ (environ la même somme que la berline neuve), mais le total restait presque 600 £ moins élevé qu’un cabriolet Alvis TE21.
La conversion a été réalisée pendant l’hiver 1963/1964. En avril 1964, Hansson, qui était un ami de Peter Wilks, directeur technique de Rover, a amené la voiture à Solihull pour la présenter. Apparemment, Wilks s’est montré suffisamment intéressé pour étudier le prix de l’outillage (500000 £), et assez impressionné pour commander à FLM Panelcraft en 1965 un prototype de 2000 cabriolet. Par la suite, Rover a approuvé la version break du carrossier sur base P6.

“ROVER ÉTAIT SUFFISAMMENT
INTÉRESSÉ POUR ÉTUDIER LE PRIX
DE L’OUTILLAGE”
Si la Panelcraft 3 litres est un peu moins élégante que les autres, c’est probablement la plus pratique. Sur les Chapron et Graber, la capote se fermait derrière la vitre latérale, au niveau des portes, ce qui ne favorisait guère la visibilité, alors que celle de Panelcraft laisse place à une vitre de custode. Basée sur la nouvelle berline MkII (134 ch avec levier de vitesses au plancher pour les versions manuelles), la forme
de la Panelcraft P5 était proche des versions continentales, mais on en sait beaucoup plus sur sa méthode de construction.
Les portes, 20 cm plus longues, étaient formées en aluminium, les montants centraux étaient reculés et les portes arrière retaillées pour combler le panneau arrière. S’agissant de la première Rover monocoque, elle était à l’origine plutôt surdimensionnée, mais pour retrouver la rigidité perdue par la dépose du pavillon, Panelcraft a eu recours à des tubes et plaques de renfort. Les plus visibles sont ceux de la baie
moteur et autour des charnières de coffre, mais le support en U sous la banquette arrière et la section en T reliant l’extrémité de la traverse moteur aux supports de ressorts, de chaque côté, étaient sans doute plus significatifs.

Réalisée en simili souple et entièrement doublée, la capote s’escamote derrière la banquette arrière, ce qui implique un dossier plus droit et un coffre moins volumineux. Contrairement à la version Chapron où elle disparaît exactement au niveau de la carrosserie, elle dépasse ici un peu, sous son couvre-capote. Sur leur propre version, Chapron et Graber ont refait la sellerie, mais Panelcraft a adapté celle d’origine et modifié le siège passager pour qu’il puisse s’incliner et permettre l’accès aux places arrière. Les montants de pare-brise ont été remplis de métal en fusion et un morceau de toit de 20 cm de large est resté fixé en haut de ce même pare-brise pour que la capote s’attache
un peu plus en arrière et laisse place aux vitres latérales qui s’abaissent dans les côtés.
Hansson a vendu sa voiture en 1966 ou 1967 à un architecte de Torquay et, à la fin des années 1970, à une époque où la P5 n’intéressait pas grand monde, toute trace de la Panelcraft avait disparu. Elle a refait surface au milieu des années 1990, à restaurer mais avec une sellerie et une mécanique assez bien conservées. La voiture, immatriculée 500 CBY, était alors remise en état et exposée lors d’évènements Rover, mais le propriétaire Terry Norton se laissait convaincre de la céder en 2004 à l’amateur australien Bruce Duncan, basé à Hornsby, à 20 km au nord
de Sydney. Duncan a effectué quelques travaux complémentaires sur les garnitures intérieures et le système électrique, avant de revendre la voiture début 2012 à son propriétaire actuel, Albert Stacey, dans le Wiltshire : ainsi, la Panelcraft P5 est revenue en Angleterre. Stacey est un passionné de P5, « j’ai acheté ma première P5 B dans les années 1970 car nous avions besoin d’une grande voiture pour ma famille,» rappelle-t-il. «Celles-ci n’étaient pas chères à cause de leur consommation mais, s’agissant d’une deuxième voiture, ce n’était pas très grave. » Il est resté fidèle au modèle et possède aujourd’hui une
Rover P5 B Coupé ainsi qu’une Citroën DS23ie, mais aucune voiture moderne!
Sur la route, la Panelcraft P5 se comporte agréablement. Capote levée, elle donne un sentiment de berline et paraît plus spacieuse à l’arrière que la conduite intérieure, ce qui n’est pas le cas. Stacey me montre comment replier la capote derrière les sièges. Le six-cylindres en ligne est extrêmement discret et la Rover accélère avec douceur, accompagnée en première d’un chant très “vintage”. Le levier de vitesses réclame des mouvements amples, mais ce premier rapport est rarement utilisé; en fait, vous vous contentez de
jouer entre la quatrième et l’overdrive au volant. Le couple maximum se situe à moins de 2 000 tr/ mn, si bien que monter les régimes ne sert pas à grand-chose. Capote baissée, vous prenez un peu plus conscience de la sonorité discrète de l’échappement et les pneus avant crissent légèrement pour lutter contre le sous-virage si vous entrez un peu vite dans une courbe serrée. Ce sont à peu près les seuls bruits qu’émet la Rover, et les renforts de carrosserie doivent être bien adaptés car elle ne présente ni craquements ni tremblements.
La direction bénéficie d’une assistance Hydrosteer efficace qui dissimule presque le fait qu’en braquant, la voiture se dirige exactement là où vous le souhaitez. Une conduite sportive n’est pas adaptée à sa personnalité et, de façon naturelle, vous éliminez toute agressivité au volant de ce prototype fascinant et bien élevé. Il est intéressant d’imaginer le cabriolet P5 B à moteur V8 que Rover aurait pu produire, si l’idée d’une découvrable avait fait son chemin. Elle serait aujourd’hui aussi intéressante à collectionner qu’une Mercedes 280 SE 3,5 litres cabriolet.
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