
Après six ans de mise au point, la XJ40 a fait entrer la XJ6 dans une nouvelle ère. Jim Randle, responsable de la conception, raconte à Mike Taylor comment est née cette berline haut de gamme.
Les lignes élégantes de la XJ40 étaient dans la parfaite continuité de la famille XJ et répondaient à la magie de Browns Lane. Bravo, professeur Jim Randle, ancien directeur technique de Jaguar! Sa détermination a contribué à assurer le succès de la XJ40, avec un total de 208706 exemplaires produits de 1986 à 1994.
Le lancement s’est effectué deux ans plus tard que prévu. « A cette époque [1980], le département technique de Jaguar comportait 176 personnes, » indique Randle, « au lieu des 480 jugés nécessaires pour un projet de cette envergure. La conception a donc été allongée à six ans. » Ce délai supplémentaire a donné le temps à l’équipe de s’assurer que la voiture était parfaitement au point, tout en permettant au programme de privatisation de 1984 de se mettre en place.Présentée en 1986 au Salon de Birmingham, la XJ40 était riche en innovations, dont un système électronique de diagnostic. La carrosserie, 10% plus aérodynamique que la XJ6, reposait sur une nouvelle suspension arrière qui améliorait le comportement.
Le fait que la XJ40 ait été une voiture aussi réussie est remarquable compte tenu des problèmes de contrôle de qualité qui imposaient la recherche de réponses techniques. Mais en coulisses, l’équipe n’a jamais douté de sa capacité à créer un produit capable de dominer sa catégorie. C’est Randle qui était aux commandes de la technique et du style, tout en étant responsable aussi de la qualité de fabrication.
« Quand j’étais jeune, je me suis passionné pour les avions, puis les voitures, » explique-t-il. « Je suis entré en 1954 chez Rover, comme apprenti. Spen King a eu l’inconscience de me placer le 16 décembre 1963 au contrôle du développement de la Rover 2000 TC, cadeau de mariage d’un des meilleures ingénieurs de l’automobile. Et j’ai rejoint Jaguar le 6 septembre 1965. »
Le constructeur avait commencé dans les années 1970 à penser à la remplaçante de la XJ6.b. « Nous nous sommes mis d’accord en 1978 sur le budget avec le conseil d’administration de British Leyland. Nous avons fait une brève présentation de l’avancement du projet, en particulier sur les structures déformables. » Le conseil d’administration de Jaguar donne son feu vert sur le programme XJ40 en 1980. « À l’époque, nous sollicitions aussi des stylistes extérieurs, » rappelle Randle. « Nous avons eu un retour rapide de Bertone, mais pas très bon. Nous avons reçu aussi des exercices de Pininfarina mais, compte tenu des travaux de qualité qu’ils avaient réalisés pour la XJ6 Série 3, ils ne correspondaient pas à ce que nous attendions. Au bout du compte, nous avons réalisé le style de la XJ40 en interne, de façon collective. Je ne parvenais pas à m’en détacher! Par exemple, l’essuie-glace unique au lieu des deux éléments traditionnels. Le rapport entre la largeur et la hauteur du pare-brise était de 2:1, et c’était donc quelque chose sur lequel je pouvais imposer mes directives. J’ai aussi décidé que les entourages de portes seraient
entièrement en acier inoxydable; les XJ6 avaient des baguettes qui s’adaptaient mal et rouillaient.

de la partie arrière.
Quand nous avons lancé le programme de style, j’ai rassemblé toutes les calandres Jaguar depuis les années 1930 en disant, “faisons quelque chose qui intègre toutes ces formes.” Mais la XJ40 diffère des XJ6 où la calandre était solidaire du capot alors que là, le capot bascule vers l’avant et la calandre reste en place, avec un joint de caoutchouc de 3 mm. Cela crée une jolie ligne.
La forme des pare-chocs devait respecter la loi américaine sur les impacts à 8 km/h. Sur la XJ40, si vous heurtez le pare-chocs avant, il réagit de telle sorte qu’une section qui est derrière s’écarte vers l’extérieur et évite au pneu avant de se remettre en place. Mes collègues de la fabrication ne croyaient pas que ça marcherait et j’ai dû fabriquer une maquette pour montrer le principe. Une autre règlementation affectait le dessin des phares : vous pouviez avoir quatre projecteurs ronds, ou deux rectangulaires. Ce genre de chose limitait la créativité dans le style. Le rapport entre la surface vitrée des portes et la hauteur de toit est une affaire de proportions, » poursuit Randle. « Il est facile de se tromper. Je me souviens encore des visites hebdomadaires de William Lyons : il observait, baguette à la main et disait, “Randle, vous ne croyez pas
que cette ligne devrait être abaissée d’un demi-cm ?” Après une heure ou deux à soupeser la remarque, il fallait bien avouer qu’il avait raison. »
Un énorme effort a porté sur la réduction des coûts: « C’était une de mes principales responsabilités. Il était primordial de limiter le nombre de panneaux de carrosserie. Cette voiture a une structure latérale d’une seule pièce, une première chez Jaguar. Même chose avec le capot : sur les premières XJ6, il comportait 17 panneaux soudés et assemblés artisanalement. Avec la XJ40, nous sommes passés à deux.
Le dessin de l’arrière ne m’a jamais complètement satisfait, et nous avons fini par ajouter des enjoliveurs chromés pour l’améliorer. Au niveau du coffre, sur la XJ6 les réservoirs d’essence étaient placés à l’intérieur des ailes, ce qui était une position vulnérable et empiétait sur l’espace utile. Sur la XJ40, nous sommes passés à un seul réservoir à l’emplacement le plus sûr, entre les roues arrière et il ne réclame qu’un seul bouchon de remplissage. Sur les modèles plus tardifs, nous avons même intégré le réservoir à
la structure de carrosserie, ce qui améliorait considérablement la rigidité. »
La suspension était elle aussi un élément fondamental de la FJ40 : « Nos objectifs étaient de réduire le poids, de donner des caractéristiques anti-cabrage et anti-plongée, d’améliorer le comportement et la fiabilité, et de réduire les coûts. Nous avons rencontré un problème avec l’ancrage de la structure sur le carter de pont arrière ; les boulons se desserraient quand la voiture roulait sur une surface de forte tôle
ondulée. Nous avons dû utiliser des écrous coniques spéciaux, qui pressaient le berceau dans les creux du carter. »
La suspension arrière a été conçue par Randle, avec utilisation de ses brevets. Des modifications ont été également effectuées à la direction et aux fixations de suspension avant, pour réduire le bruit et les vibrations. Sous le capot apparaît un vaste compartiment moteur. « Découvrir le six-cylindres en ligne n’est pas aussi excitant que le V12, » concède Randle. « Certaines personnes trouveront ce dernier superbe, et d’autres horriblement compliqué. »

comportement, dès le stade des prototypes.
“LE CAPOT DE LA XJ6 COMPORTAIT 17 PANNEAUX SOUDÉS.
AVEC LA XJ40, NOUS SOMMES PASSÉS À DEUX”
Quand la production de la XJ40 a commencé, le choix de moteurs comportait un 2,9 litres à simple ACT et un 3,6 litres double arbre 24 soupapes: « Pourtant, malgré l’accélération de 0 à 100 km/h en 9,6 s, les performances avec le petit moteur n’étaient pas à la hauteur de ce qu’attendaient les clients Jaguar. L’option du V12 correspondait à une initiative de Ford que je n’ai pas vraiment comprise car nous avions déjà des versions turbo du moteur AJ6 de 4 litres, qui développaient 400 ch. Après tout, le V12 était presque en fin de vie, au niveau des émissions polluantes. »
Dans l’habitacle de la XJ40, tout est luxueux et élégant. La première génération comportait à droite des instruments un affichage digital comportant des informations sur certains composants, ou sur des opérations d’entretien. « Nous avons dû développer un système complexe et inventer des symboles pour les éléments que nous voulions afficher. En fait, la XJ40 était sans doute, sur le plan électronique, une des voitures les plus sophistiquées du marché. Nous avons dû mettre au point un système de diagnostic, ce qui nous a demandés cinq ans de travail. Mazda en a mis 10 pour atteindre le même résultat. »
Très avancé, le programme électronique a impliqué 20 entreprises et 40 “années-hommes” de travail. « Habituellement, les systèmes électriques ne tombent pas en panne pour des raisons électriques, mais pour des causes mécaniques liées aux relais et connexions. Pour éliminer ce problème, nous avons conçu nos propres dispositifs, dont les surfaces de contact étaient recouvertes de métaux nobles. Nos interrupteurs de 1 mA résistaient à un million de cycles, au lieu de 1 500 habituellement. Je me disais
parfois que nous poussions l’électronique trop loin… » Mais lors du lancement de la XJ40, l’accueil positif soulageait la pression : « Les articles suggéraient que nous avions peut-être réussi notre pari! »
Une des difficultés du rôle de Randle comme membre du Comité des Constructeurs du Marché Commun est qu’il devait travailler avec des représentants de marques comme BMW et Mercedes. « À cette époque, nous avions une sorte d’accord tacite selon lequel nous ne marchions pas sur les plates-bandes les uns
des autres. Nous savions que si Jaguar essayait d’imiter BMW, ils nous écraseraient complètement. Et si BMW n’atteignait pas le niveau de raffinement que nous avions assuré sur la XJ40, c’est que cela ne correspondait pas à leur domaine de compétence. »

Pour Jaguar, les opinions étaient alors partagées à propos des liens avec British Leyland (BL), puis Ford. « Au moment du programme XJ40, un constructeur de la taille de Jaguar avait besoin d’un grand frère car environ 70 % du coût d’une nouvelle voiture dépend de ses composants. Ford avait d’excellentes pièces, mais celles de BL étaient mauvaises, si bien que nous avons lutté pour ne pas les utiliser dans la XJ40. Nous ne voulions pas que les clients jouent à identifier les pièces venant de BL. »
Est-il exact que le V8 Rover a été envisagé ? « Nos amis de BL le souhaitaient, » confirme Randle. « Le programme de crash-test m’imposait de consacrer beaucoup de temps à la protection des occupants, ce qui a débouché sur des longerons robustes rejoignant le tunnel de transmission ; vous pouviez laisser tomber le six-cylindres sans briser la structure sur laquelle étaient fixés les parties déformables. Installer le V8 aurait nuit à ces avantages, comme je l’ai affirmé. Le plus bizarre est qu’ils m’ont cru… »
Selon une autre histoire entrée dans la mythologie de la XJ40, quand la dernière maquette en argile a été transportée de Coventry chez Pressed Steel, à Swindon, le coffre s’est légèrement affaissé. Le modèle final affichait donc à l’arrière une courbe plus prononcée que prévu : « Quand nous avons conçu cette voiture, tout le monde utilisait l’argile pour sculpter les modèles. La XJ40 est la première voiture pour laquelle Jaguar utilisait ce procédé, et nous ne disposions pas de tous les instruments de modélisation informatique. Nous avons envoyé la maquette d’argile à Swindon, et il est possible que l’arrière se soit affaissé pendant le transport. Je pense que c’est une forme élégante, » conclut-il, « mais nous aurions pu faire mieux sur certains points, comme l’intérieur ou l’arrière. La XJ40 se démarque tout de même des autres voitures, elle a son identité propre. »
Le modèle a permis à la XJ6 d’entrer dans les années 1990, époque à laquelle Ford a pris le contrôle du constructeur. « Bill Hayden, premier directeur de Jaguar dans le giron de Ford, a dit à John Egan, “nous avons payé 1,6 milliard de $ pour Jaguar, alors que ça ne vaut que 300 000 $.” A quoi Egan a répondu,
“La saucisse ne vaut peut-être que 300 000 $, mais si vous voulez l’entendre griller, il faut débourser 1,6 milliard.” »
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