Le règne des coupés sans montant

Mercedes 450 SLC - Mercedes 560 SEC - Mercedes S 500

© Classic & Sports Car / Julian Mackie

Mercedes s’est ménagé une niche particulière avec ses gros coupés de luxe sans montant central. Mais lequel choisir, entre les trois générations que nous avons réunies ? Martin Buckley répond.

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Les gros coupés sans montants constituent une catégorie où Mercedes a toujours fait merveille. Inspiré par l’idée américaine de « voiture personnelle », Daimler-Benz a pensé pouvoir vendre cher ces modèles haut de gamme aux acheteurs souhaitant une voiture plus élégante et plus exclusive que les berlines Classe S. Ces utilisateurs attentifs à leur statut étaient des clients idéaux, suffisamment aisés pour ne pas trop se soucier de la différence de prix, dès l’instant où ces voitures affichaient luxe et dignité.

Ce concept tient son origine dans les modèles 300 S complètement artisanaux des années 1950, qui se sont cristallisés dans la gamme W111 de 1961. Pour moi, il n’y a jamais eu plus belles Mercedes que ces coupés très étirés et, d’une certaine façon, leur pure élégance faisait passer au second plan la puissance de leur six-cylindres. Qu’il se soit agit d’une 220 ou d’une 300 SE, c’était toujours une Mercedes dans laquelle vous vous déplaciez avec majesté, recevant les regards admiratifs. Dans le coupé W111, tout le monde avait belle allure.

De plus, l’arrivée de la 280 SE 3,5 litres à la fin des années 1960 a fait progresser le modèle de façon spectaculaire. Enfin, il recevait le puissant huit-cylindres qu’il méritait : ainsi, la combinaison d’une esthétique presque parfaite et d’un moteur de 200 ch transformait un coupé coûteux en une des Mercedes les plus désirables de l’après-guerre. Je ne suis pas seul à le penser : la valeur atteinte aujourd’hui par les coupés 3,5 litres (les cabriolets sont depuis longtemps hors d’atteinte) les distinguent du reste. En fait, pour le prix d’une 280 SE 3.5, vous pourriez probablement acheter un bon exemplaire de chacune de ses remplaçantes, et il vous resterait de la monnaie.

Les 450 SLC, 560 SEC et S 500 sont des voitures désirables à leur façon mais elles montrent, pour moi en tout cas, à quel point Mercedes a dû
se creuser les méninges pour retrouver le charme de la W111. D’une certaine façon, la C107 SLC a manqué sa cible car sa forme s’inspire de la SL plutôt que de la berline Classe S contemporaine; c’est probablement le succès déconcertant de la BMW E9 CS/CSi qui a convaincu Stuttgart de
concevoir un coupé plus jeune et agressif, en allongeant de 35 cm la plateforme de la R107 pour rendre l’habitacle plus spacieux. Les acheteurs d’une version plus calme pouvaient se tourner vers les coupés CE six cylindres, sur la plateforme W114. Ceux qui souhaitaient une SLC mais en limitant le montant des taxes optaient pour une version 280, mais ce sont les 350 et 450 à moteur V8 qui se sont le mieux vendues.


Avec 56 330 exemplaires produits de 1972 à 1980, le coupé SLC a été un vrai succès commercial, mais il a eu un peu de mal à trouver une identité de voiture classique. Il n’a pas le prestige d’un cabriolet SL, ni le rare attrait de la W111 qu’il remplaçait. Jusqu’à récemment, il donnait l’impression de peiner à séduire les amateurs. Seule la rareté des beaux exemplaires, et le fait que la forme semble plus séduisante aujourd’hui qu’il y a une quinzaine d’années, ont fini par attirer leur attention.


Lancé en 1981 (sous la forme 380/500 SEC) et produit à un peu plus de 74000 exemplaires en 10 ans, le coupé C126 à moteur V8 a connu un passage plus progressif du monde de l’occasion à celui de la collection. Il a fait l’objet des convoitises dès l’arrêt de la production, au début des années 1990 et les très beaux exemplaires de la 560 (après 1985), affichant moins de 150000 km, se vendent cher. Leur attrait est facile à comprendre. Ce sont des voitures magnifiquement fabriquées, fiables et (à l’exception peut-être de la C124 coupé) parmi les plus belles jamais dessinées par Bruno Sacco. Aucun coupé Mercedes haut de gamme produit depuis n’associe un style aussi harmonieusement intemporel à une telle réputation de qualité et robustesse. Quelque 30 ans plus tard, la 560 (C126) SEC apparaît comme une des dernières Mercedes prédigitales et qui ne connaissent pas encore les systèmes électroniques inutilement complexes dont certains modèles ultérieurs ont été victimes.

Et quand vous dites “inutilement complexe”, vous pensez à la série W140. Avec un coupé dévoilé en 1992, c’était la Mercedes la plus compliquée depuis la 600 de 1963. Ayant fait l’objet d’études couteuses, un milliard de DM, elle était équipée de toutes sortes d’équipements dont vous n’imaginiez même pas avoir un jour besoin : portes avec “assistance de fermeture”, appuie-têtes escamotables automatiquement, rétroviseurs chauffants… Il semble qu’aucun gadget n’était trop beau pour les ingénieurs qui ont donné vie à cette machine de ploutocrate, dotée d’un double vitrage.

La SLC est la moins rapides des trois Mercedes.

“LA SLC EST PLUS FINE, AVEC
BEAUCOUP DE CHROME ET SES
FAMEUX RIDEAUX VÉNITIENS”

Cela dit, la W140 a introduit de nombreux systèmes que nous trouvons aujourd’hui normaux sur les voitures modernes. Ces machines étonnantes comportaient les premiers sonars de parking (cet exemplaire comporte les “témoins de stationnement” antérieurs, deux baguettes chromées émergeant des ailes en cas de marche arrière), rétroviseurs rétractables et essuie-glaces automatiques. La liste d’option était sans fin et, si le moteur 500 à 32 soupapes de 322 ch ne vous suffisait pas, il y avait aussi le 600, V12 de plus de 400 ch. Mais pour les besoins de cet article, nous nous contenterons de la version 5 litres, qui n’est pas exactement lente : elle passe de 0 à 100 km/h en 6,7 s et atteint 250 km/h en pointe (vitesse limitée électroniquement). Avec une production de 14953 exemplaires, la 500 est de loin la version la plus diffusée de la gamme, celle-ci ayant connu quelques changements de nom avant que Mercedes ne s’arrête en 1996 sur la nomenclature CL.


Sur le plan esthétique, la C140 arrive troisième au concours de beauté avec sa forme un peu boursouflée. Sans doute un des dessins les moins réussis de Sacco, avec ses phares genre coléoptère et son allure pataude, bien que de 3/4 arrière elle présente une élégance un peu massive rappelant sa petite sœur la C124, plus homogène. Le manque d’enthousiasme des clients se reflète d’ailleurs dans les chiffres de vente, avec un total de 26000 exemplaires jusqu’à 1999. Le propriétaire Edward Checkly envisage de vendre celle-ci et de garder sa 300 CE, qu’il trouve plus facile à utiliser. Il est vrai que succéder à la belle et solide C126 était un exercice difficile, bien que cette dernière ne soit pas parfaite. Comme le souligne John Antonaki, son propriétaire, les roues arrière sont un peu perdues dans les ailes, ce qui explique la pose de jantes larges par des propriétaires peu soucieux de l’origine.


La SLC est de son côté une machine plus petite, plus fine (mais ce n’est pas ce que j’affirmais à l’époque), avec des pare-chocs fins et beaucoup de chrome. Et bien sûr les rideaux vénitiens derrière la troisième vitre latérale (fixe), subterfuge peu habituel permettant à celle qui est juste devant de s’escamoter complètement. Ces trois voitures présentent de très longues portes, un grand volant et un habitacle dont le luxe un peu impersonnel évoque plus une salle de conférences qu’un salon intime. À l’intérieur, la SLC paraît presque austère par rapport aux deux autres coupés mais, à part la climatisation, elle offre tout ce dont vous avez besoin. Elle est aussi plus basse et courte et les passagers arrière peuvent avoir les jambes à l’étroit.

Les lignes de la 560 SEC présentent une beauté fonctionnelle, un peu
troublée par de grosses poignées de portes
.

“LA S500 PRÉSENTE LE CARACTÈRE LE PLUS ONCTUEUX, MAIS IL Y A
DANS LA SEC QUELQUE CHOSE D’UN V8 DE MUSCLE CAR”

Dans les C126 et C140, il y a de nombreuses petites choses que vous finissez par apprécier, comme les sièges électriques chauffants à l’avant et le bras qui vous amène la ceinture de sécurité en mettant le contact. Dans la SLC, vous vous contorsionnez pour l’attraper après vous être heurté le crâne sur le toit pour entrer. Dans les deux autres coupés, vous entrez presque en marchant et pouvez paresser sur les
sièges arrière. La finition est affaire de goût mais je pense préférer les plastiques moulés un peu sévères de la SLC au cuir matelassé de la S 500 qui rappelle le marché américain des joueurs de golf pour lequel elle a été conçue. La pléthore d’interrupteurs est pour moi encore en grande partie mystérieuse, mais les fonctions les plus importantes sont assez faciles à identifier. Sur une C140 toutes options, vous pouviez avoir jusqu’à 44 différents boutons et commandes répartis sur le tableau de bord!

La SEC offre la combinaison de matériaux la plus plaisante (celle-ci est dotée de la rare finition alcantara) mais il y aurait beaucoup à dire de l’épais velours bleu de la SLC, dont l’allure et l’odeur rappellent les Mercedes des années 1960. Il faut peu de temps pour comprendre que l’écart technologique entre la SLC et la SEC est beaucoup plus profond qu’entre la SEC et la S 500. Sur la route, ces idées se confirment. Le
vent qui siffle autour des vitres latérales de la C107 et les bruits de roulement provenant du plancher sont inconnus des 560 SEC et S 500. Celles-ci sont tout simplement très rapides et très silencieuses, particulièrement dans le cas de la C140 dont le V8 M119 quatre arbres présente un ralenti fabuleusement doux et discret. Les deux plus récents coupés sont à peu près égaux en accélérations. Enfoncez le lourd accélérateur et l’horizon se rapproche dans une de ces longues et vigoureuses déferlantes de puissance qui impressionnent le conducteur, mais sans déclencher d’émotion particulière.

Le moteur de la S 500 présente le caractère le plus onctueux et le plus sophistiqué, mais il y a dans la 560 SEC quelque chose de l’agressivité d’un V8 de muscle car. Sur les deux, les vitesses s’enchaînent de façon presque inaperçue, les passages s’effectuant avec progressivité même accélérateur au plancher. Ces voitures donnent un sentiment de maîtrise imperturbable et peuvent assurer sans problème une vitesse de croisière de 200 km/h. À cette vitesse, la 450 SLC se trouve un peu à bout de souffle. Mais elle tient facilement 160 km/h à 4000 tr/mn : c’est encore une voiture avec laquelle vous pouvez rouler longtemps sans fatigue. La position de conduite est naturelle, sans nécessiter de réglage électrique et, si la SLC n’est
pas “rapide” au sens ultime du terme, elle affiche la puissance attendue chaque fois que nécessaire.

La grosse S 500 n’a pas la grâce des modèles
précédents mais affiche une réelle présence.

“AUCUN GADGET N’ÉTAIT TROP BEAU
POUR CETTE MACHINE DE PLOUTOCRATE
DOTÉE D’UN DOUBLE VITRAGE”

L’accélération initiale est prometteuse, mais elle ne donne pas l’impression de s’exprimer complètement avant d’atteindre 130 km/h environ, vitesse à laquelle le troisième (et dernier) rapport semble maintenir le moteur dans son régime idéal pour une sensation plaisante d’implacable poussée. Vous avez aussi conscience que, pour maintenir la voiture en ligne droite en accélération, il faut un peu plus de concentration sur la SLC que sur les versions plus récentes qui, en toute logique, peuvent aussi s’attaquer à une route sinueuse de façon plus maîtrisée. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont plus amusantes. Elles
présentent certes plus d’adhérence et moins de roulis, mais leur gabarit joue contre elles. La S 500 est aussi large qu’une Diablo avec ses rétroviseurs déployés. Par comparaison, la fine SLC donne presque l’impression d’une voiture de sport, plutôt que d’une berline transformée. Son accélérateur réactif et sa direction bien équilibrée (sinon ultra-précise) donnent à la tenue de route un caractère subtil qui vous permet d’en apprécier les limites, alors que sur les deux autres voitures elles peuvent être plus difficiles à cerner, car plus éloignées. En fait, la courtoise 560 SEC donne une légère impression de lourdeur et, sans jamais mettre une roue de travers, elle n’apprécie pas vraiment d’être malmenée. J’apprécie la solide consistance de la direction, la puissance de la voiture et son allure digne (et son évidente qualité), mais elle n’est pas de celles qui vont à la tâche avec enthousiasme. Les freins sont particulièrement impressionnants (avec une pédale d’une agréable fermeté, par rapport aux deux autres), mais le confort est assez banal et ne donne pas l’impression “riche” que pourrait supposer sa suspension arrière à assiette constante.

La S 500 est un peu une révélation par son confort superbe associé à une agilité en virage qui contredit son embonpoint; une athlète en costume de ville, si vous voulez. Ses sièges avant très enveloppants contribuent à vous encourager à violenter un peu la voiture. Elle s’engage bien en courbe, offre une adhérence énorme et tout dans sa façon de se conduire évoque un bon équilibre et un comportement sain, grâce notamment à un amortissement bien pensé et à la suspension arrière multibras. Et pourtant cet exemplaire n’est pas doté de l’amortissement adaptatif ADS et je ne suis pas sûr qu’il ait un contrôle de traction; si c’est le cas, il est agréablement discret.


De tels équipements étaient bien sûr étrangers à la SLC mais elle donne en contrepartie un sentiment d’aventure. Souvent écartée parmi les voitures des années 1970, elle affiche à côté des deux coupés plus récents une séduction canaille. Contrairement à eux, elle ne vous enferme pas dans un monde de luxe absolu. Alors que vous pouvez passer dans le confort raffiné des S 500 et 560 SEC des moments de plénitude vite oubliés, la 450 SLC donne l’impression d’être en mission. Depuis le ronflement viril de son V8 jusqu’à la précision de sa commande de boîte, c’est une voiture qui est prête à répondre à vos fantasmes de GT. Une sorte de Jensen Interceptor à l’allemande, à qui il manque la sensation artisanale de ce genre de voiture mais qui présente de nombreux équipements intéressants de la gamme W123. D’une certaine façon, c’est une combinaison presque parfaite. Les prix des SLC s’affermissent, et le fait que cette 450 à faible kilométrage se soit vendue 36 000 € en dit long sur le potentiel du modèle. Encore très abordable, il est difficile à trouver en très bon état.


La 560 SEC est elle aussi en train de connaître son heure et c’est justifié. C’est une bonne voiture, mais pas le genre dont on tombe amoureux. Il en va un peu de même pour la S 500, machine inspirant le respect mais à peu près aussi romantique qu’un mini week-end dans un hôtel Ibis au bord de l’autoroute. Mais qui sait, avec 8 573 exemplaires de la version V12 (presque aussi rare qu’une 300 SEL 6,3 litres), se pourrait un modèle à surveiller. Mais je n’en mettrai pas ma main à couper…

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