Entrée dans le monde moderne

Morris Ten - Vauxhall Type H

© Classic & Sports Car / Tony Baker

La Morris Ten et la Vauxhall Type H ont été les premières monocoques britanniques de grande série. Jon Pressnell leur découvre d’autres qualités, qui les ont fait entrer dans le monde moderne.

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La modernité et l’industrie automobile anglaise ne faisaient pas très bon ménage au début des années 1930. Alors que la suspension avant indépendante était devenue la norme en Europe et que les structures monocoques, la traction avant et même les roues arrière indépendantes étaient de plus en plus fréquents, en Angleterre le client avait encore droit aux essieux rigides, châssis séparés, freins à câbles et soupapes latérales. Au moins Morris avait-il adopté les freins hydrauliques en 1931 et, en 1937, il était largement passé aux soupapes culbutées ; on ne pouvait guère en dire autant d’Austin, le concurrent archi-conservateur, sans même parler de Ford. En Angleterre, aucune voiture n’était capable de rivaliser avec le progrès technique de la Citroën Traction ou avec les Adler et DKW allemandes.

Cette situation a commencé à changer en octobre 1937, quand Vauxhall a achevé sa transformation en constructeur de grande série et a fait son entrée dans le plus vaste segment du marché avec sa toute nouvelle 10 hp Type H. Sans être à traction avant, elle offrait à l’acheteur britannique des caractéristiques modernes pour un prix abordable : soupapes en tête, freins hydrauliques, suspension avant indépendante et, surtout, c’était la première monocoque produite par un des six grands constructeurs anglais.

Décrite en interne comme la “voiture à un million de livres”, en référence à l’énorme investissement consenti pour elle par General Motors, elle était partiellement conçue aux États-Unis, mais la suspension était due à Maurice Olley, ingénieur venant de Rolls-Royce et Cadillac et considéré comme un des meilleurs de cette spécialité. Adaptée du système Dubonnet à bras tirés, elle comportait pour chaque roue une courte barre de torsion transversale avec un ressort hélicoïdal compensateur dans un réceptacle horizontal rempli d’huile, qui contenait aussi un amortisseur à double effet. Ce système était à flexibilité variable, avec un réglage très doux en conditions normales. Malheureusement, il a connu des problèmes de fonctionnement, avec notamment des bris de barres de torsion.

Le moteur était un quatre-cylindres 1 203 cm3 conçu par Alex Taub, créateur du six-cylindres Chevrolet à soupapes en tête. Obsédé par la consommation, Taub avait travaillé avec Zenith pour réaliser un carburateur à “deux phases”, donnant un mélange inhabituellement pauvre en moyenne accélération, et un thermostat dans le collecteur d’admission assurait un réchauffement rapide du mélange. Ainsi, Vauxhall annonçait une consommation de 7 l/100 km, mais The Motor enregistrait mieux encore avec 6,7 l/100 km et, lors d’un concours Vauxhall de consommation, le gagnant descendait à 4,6 l/100 km. L’investissement de Vauxhall se révélait payant : en avril 1938, la 10000e Type H sortait des chaînes, pour un total de 86292 exemplaires produits jusqu’à son arrêt, en 1948.

Après quelques améliorations de détails en 1939, le modèle 1940 était plus long et plus large, avec un coffre plus volumineux grâce à l’installation de la roue de secours à l’extérieur. En mars 1946, la voiture pouvait recevoir un moteur 12 hp qui devenait standard en été 1947. L’année suivante, la Type H laissait place à la Type L Wyvern et sa sœur Velox à moteur six-cylindres, les deux modèles reprenant la structure centrale de la Type H et ses trains roulants. La riposte de Morris arrivait en septembre 1938 sous la forme de la “Ten” Série M, qui offrait toutes les caractéristiques de sa rivale de 86 Classic & Sports Car Juin 2018
Lutton, sauf la suspension avant indépendante. En compensation, elle était dotée d’une boîte quatre rapports, alors que la Vauxhall se contentait de trois.

Insigne stylisé à l’américaine.

Une suspension avant indépendante avait d’ailleurs été envisagée et Alec Issigonis, futur concepteur des Minor et Mini, avait créé avec son assistant de longue date Jack Daniels un
système à ressorts hélicoïdaux associé à une direction à crémaillère. Issigonis s’était auparavant lié d’amitié avec Maurice Olley et reconnaissait volontiers l’influence sur son projet de l’ingénieur GM. Mais des doutes sur les coûts probables (et quelques problèmes de mise au point, semble-t-il) ont mené Morris à préférer un essieu rigide, conçu par deux ingénieurs bien connus : HN Charles, qui avait montré son talent chez MG, et Gerald Palmer, futur concepteur de la Jowett Javelin. Pour obtenir de cet essieu rigide un comportement confortable et une bonne tenue de route, Charles choisissait des ressorts à lames inhabituellement longs et souples et plaçait l’ensemble sous le contrôle d’une barre antiroulis, ce qui était très nouveau. De longs bras latéraux
faisaient office de jambes de force, celui de droite agissant parallèlement à la tige de direction. Bien que ce système à essieu rigide ait été considéré comme un des meilleurs du genre, il semble que Morris ait eu tout de même l’intention de le remplacer sur le modèle 1940 par la suspension indépendante d’Issigonis. Mais celle-ci n’a finalement été adoptée que sur la MG Y d’après-guerre, puis sur de nombreuses MG, jusqu’aux dernières MGB.


Le quatre-cylindres 1 140 cm3 culbuté était nouveau lui aussi, et présentait une course assez courte, de 90 mm au lieu des 102 mm du moteur précédent. Il ne s’agissait pas de prétentions sportives, mais de réduire la hauteur du bloc et de gagner du poids : le nouveau “XPJM” pesait 28 kg de moins que le précédent. La puissance était de 37,2 ch, contre 34,5 pour la Vauxhall, mais la Morris était 25 cm plus longue et pesait 955 kg, au lieu de 914 kg pour la Type H.


Malgré sa forme traditionnelle, la monocoque Morris était tout à fait à la hauteur, avec un avant mieux conçu que sa concurrente. Les bas de caisse caissonnés s’étendaient à l’avant pour intégrer la structure interne des ailes, un tube diagonal de section carrée venant renforcer l’ensemble. Par comparaison, la Vauxhall présentait un berceau avant fixé sommairement sur l’auvent par des tubes boulonnés. Mais la Série M se distinguait bizarrement par la présence de renforts en bois dans les bas de caisse.

Après quelques changements de détails en octobre 1939, la Morris bénéficiait lors de sa réapparition après la guerre de petites améliorations dont un renfort de carrosserie à l’avant, ce qui laisse supposer que la monocoque était moins efficace à l’usage qu’elle le semblait sur le papier. En 1946, une calandre bombée donnait à la M un peu plus d’élégance, dernier changement avant son remplacement en octobre 1948 par l’Oxford Série MO conçue par Issigonis. La production totale s’établissait alors à 108 010 exemplaires.


La Vauxhall de ces pages est une De Luxe 1938 (avec toit ouvrant en série) appartenant au Vauxhall Heritage Centre. Affichant une jolie couleur métallisée sans doute plus flatteuse que les peintures grossières d’avant-guerre, elle se montre assez élégante, avec un sobre habitacle aux flancs légèrement bombés et qui se termine sur un arrière incliné, sans roue de secours ni coffre saillant. Les pare-chocs rainurés sont une habitude américaine et la découpe du sommet de calandre reprend la forme Vauxhall traditionnelle.


À l’intérieur, la voiture est tout aussi bien agencée, avec des portes qui se ferment avec une netteté surprenante pour une voiture bon marché des années 1930. Les garnitures de portes, avec vide-poches à l’avant, présentent un motif attrayant que l’on ne retrouve pas sur les versions d’après-guerre. La voiture est équipée de pare-soleil, de déflecteurs ouvrants et de vitres à manivelles. Les sièges en cuir offrent des dimensions confortables et l’arrière est très spacieux, les passagers bénéficiant de repose-pieds et d’un accoudoir central. Le tableau de bord est très “General Motors années 1930”, avec une décoration chromée horizontale qui pourra sembler attrayante pour certains et tapeà-l’œil pour d’autres.

Le responsable de la Vauxhall, Andrew Boddy, est assez réservé sur l’expérience au volant qui m’attend. En tout cas, je n’espère pas grand-chose de spectaculaire, surtout après le récent essai d’une Velox Type L: c’était certes la voiture à moteur six-cylindres la moins chère du marché, mais aussi certainement la pire. Avec ces souvenirs en tête, sans parler des remarques acerbes entendues dans le passé à propos de la suspension avant compliquée de la Vauxhall, je suis agréablement surpris dès que nous sommes en route. C’est une voiture dans laquelle vous vous sentez immédiatement chez vous, après avoir relâché la solide poignée chromée de frein à main, curieusement suspendue sous le tableau de bord. Vous êtes assis haut et les commandes sont faciles: embrayage doux, freins très réactifs, levier de vitesses fluide que vous ne faite craquer qu’en passant trop vite la troisième.

L’âge d’or des monocoques britanniques.

“MON PÈRE AFFIRMAIT QU’IL POUVAIT LARGEMENT DÉPASSER 110 KM/H.
MAIS IL ROULAIT PARFOIS AVEC DE L’ESSENCE AU MÉTHANOL”

Mais le principal défaut de la Vauxhall ne tarde pas à se faire sentir: seulement trois rapports de boîte. Cela entraîne un “trou” inévitable entre
deuxième et troisième, cette dernière vitesse était trop courte, avec pour effet un régime moteur trop élevé. Cela donne à l’arrivée une voiture trop bruyante à 80 km/h, vitesse de croisière qui est pourtant parfaitement à sa portée. Le petit 1,2 litre n’est pas très poussé (“J’ai vu de plus gros carburateurs sur une tondeuse à gazon”, selon le propriétaire de la Morris), mais il est suffisant et capable d’emmener la voiture jusqu’à 95 km/h, même si les côtes en troisième réclament une certaine patience…


La direction sort visiblement de réfection et réclame quelques ajustements pour éliminer une certaine dureté. En roulant, vous ne cessez d’effectuer de petites corrections, mais c’est la seule réserve sur le comportement de la Vauxhall. Elle est confortable, bien contrôlée sur les bosses, ne s’incline pas trop en virage et franchit les ronds-points avec une surprenante célérité. Sous cet angle, la Type H est vraiment moderne (mais sur cet exemplaire les amortisseurs arrière à levier ont laissé place à des télescopiques).

Par comparaison, la Morris ne se prête à aucune attente de modernité, qu’il s’agisse de son essieu avant rigide ou de sa forme peu charismatique. Après la séduisante Eight et les grosses Morris, avec leur style fastback et leur superbe tableau de bord Art Déco en bakélite, la Morris M est décevante et peu aboutie. Elle donne aussi l’impression que Morris commençait à s’égarer: à la fin de 1938 le constructeur avait lancé une nouvelle Eight, une nouvelle Ten et une nouvelle Twelve. Chaque modèle présentait un moteur différent, une mécanique différente et une carrosserie différente.

Bonnes performances pour l’époque.

De son côté, Vauxhall utilisait la Ten comme base de la Twelve et de la Fourteen six-cylindres, ce qui permettait de mieux amortir l’investissement dans les presses de la carrosserie monocoque de la Type H. Parallèlement, Ford commençait aussi à rattraper Morris, en proposant deux modèles 8 hp et 10 hp assez proches. Le côté terne mis à part, la Morris offre une apparence conventionnelle, mais un exemplaire beige à ailes marron comme il en a été proposé avant-guerre pouvait être plus attrayant. L’intérieur n’est pas beaucoup plus excitant, avec une sobre sellerie en Karhyde, nom que Morris donnait à son simili. Les voitures dotées d’un toit ouvrant bénéficiaient de cuir et, avant la guerre, le tableau de bord aurait été en faux bois au lieu de la peinture bon marché des versions d’après-guerre. Ce qui ne l’empêche pas d’être bien équipé. À l’arrière, les places sont flatteuses grâce aux six vitres latérales et comportent d’agréables accoudoirs. À l’avant, les petits sièges baquets et le lointain frein à main au plancher semblent un tantinet démodés.

Voiture de famille très utilisée, la M de Paul Freeman n’est pas tout à fait représentative de ce que devrait être cette Morris, même si son propriétaire affirme que le moteur réalésé à 1250 cm3 et doté d’un arbre à cames de MG TD n’a pas vraiment amélioré les performances. Si c’est vrai, alors ce moteur culbuté représente pour Morris une occasion manquée car il donne une impression moderne, vivante et sans la rugosité du Vauxhall. Il a aussi plus de répondant et la voiture atteint 95 km/h plus facilement que sa concurrente. “Elle est à l’aise dans la circulation et, dans les années 1970, elle pouvait encore surprendre au feu rouge,” affirme Freeman.


La boîte quatre rapports y est évidemment pour beaucoup. La Morris marque des points aussi avec sa direction fluide (même si Freeman reconnaît qu’il lui a fallu longtemps pour obtenir ce résultat). Mais les qualités s’arrêtent là : le châssis de la Morris est vraiment capricieux, à tel point que je suis convaincu que c’est en partie lié au présent exemplaire. L’avant est flou (surtout sur mauvais revêtement) et la direction instable, la voiture cherchant son chemin un peu comme une MG TC. De plus, la Morris prend du roulis en virage, assez pour inquiéter les passagers. Reste les freins, heureusement fidèles à Morris : fermes, efficaces, avec une course courte.

Alors où tout cela mène-t-il nos rivales ? Il y a plus de plaisir à se trouver à l’intérieur de la Vauxhall, qui offre aussi un excellent comportement. La Morris bénéficie d’un meilleur moteur et d’une boîte quatre rapports qui fait cruellement défaut à la Vauxhall. Si je pouvais essayer d’autres exemplaires de la Morris,
plus conformes à ce qu’ils devraient être, il est possible que je la trouverais plus agréable à conduire. Mais si le seul handicap de la Vauxhall est un moteur un peu rude, qui a dit qu’un équilibrage soigneux ne puisse y remédier ? Quoi qu’il en soit, c’est avec ces deux voitures que l’ère moderne de l’automobile a commencé en Angleterre.

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