
Vous voulez quelque chose de vraiment radical ? Malcolm Thorne vous emmène à bord du roadster GTS réalisé par John Chatham, le célèbre roi de la Sebring.
On ne peux s’empêcher d’être désolé pour la pauvre MGC. Quelle autre voiture a souffert d’un accueil aussi cruel de la presse ? « Malaimée » est un mot souvent associé à cette MG six-cylindres et, en évoquant l’évolution de la MGB, il est très tentant de prononcer les termes « sous-virage » ou « mollesse mécanique » avant de passer à la version V8.
Mais rappelez-vous que ce n’est pas la faute de la C d’avoir eu pour mission peu enviable de remplacer la grosse Healey dans la gamme BMC. Ou d’avoir été alourdie d’un bloc en fonte sous le capot. Ce n’est pas non plus la faute de la C si, à part son bossage à l’avant et ses jantes de 15 pouces, elle a l’apparence d’une MGB standard, trop discrète pour le statut auquel elle avait droit. Et par-dessus tout, ce n’est pas non plus sa faute si, une fois une mauvaise réputation bien ancrée, elle est aussi difficile à effacer qu’une tâche de cambouis sur un costume trois pièces.
La MGC était loin d’être une mauvaise voiture, dans la catégorie des routières endurantes. Vue comme une version rapide et confortable de la vénérable B, cette petite GT était certainement plus digne de son badge que le coupé quatre-cylindres. Mais pour les amateurs de Healey, elle aurait dû être une voiture de sport bruyante, virile et capable de mettre KO ses concurrentes. Et c’est là que la bât blesse. Avec sa myopie coutumière et sa gestion financière hasardeuse, British Leyland n’a pas su achever la mise au point de la C. Pourtant, sur circuit, cette voiture si décriée a brièvement montré le potentiel d’une machine capable de satisfaire le plus difficile des possesseurs de Big Healey.
La préparation d’une version course de la MGC GT a commencé dès 1966, avec des panneaux en aluminium (dont le toit, les portes et les ailes renflées) sur une monocoque acier. Comme cela a été confirmé ensuite, six carrosseries de ce type ont été produites, mais seulement deux (“Romeo” et “Mabel”, ainsi nommées à cause de leur immatriculation, RMO 699F et MBL 546E) ont été jusqu’au stade d’une voiture terminée. Dénommée GTS, elle faisait ses débuts en course à la Targa Florio 1967, mais avec un moteur quatre-cylindres car la MGC six-cylindres n’était pas encore entrée en production. Elle révélait son vrai visage en 1968 avec un six-cylindres modifié installé entre les barres de torsion avant. En plus de la Targa Florio, Romeo et Mabel prenaient part la même année à la course de 84 heures du Marathon de la Route, au Nürburgring et, bien sûr, à Sebring : le circuit de Floride a ensuite donné son nom à ces bolides
musclés.

La GTS était une machine qui ne manquait pas de caractère. Si la GTC standard était trop proche d’une Austin Westminster en tenue de sport, ces versions course présentaient une personnalité complètement différente, jusqu’à recevoir un moteur en alliage dans leur dernière configuration, ce qui permettait d’améliorer la répartition des poids et le comportement, même si cette agilité devait se payer par une plus grande fragilité. Hélas, malgré leur capacité à se mesurer sans rougir aux Porsche, les MGC ont connu une carrière trop brève et c’est à Sebring en 1969 que l’usine s’est engagée pour la dernière fois, avant que BL ne mette un terme à l’aventure. Mais cette regrettable décision ne sonnait toutefois pas la fin de l’histoire. En effet, le programme GTS a été entièrement repris par John Chatham, spécialiste Austin-Healey basé à Bristol et impliqué dans la marque depuis l’apparition de la 100 en 1952. Son but était de prendre le départ de la Targa Florio 1970 à bord d’une Sebring.
La transaction incluait quatre coques inutilisées et le stock de pièces détachées, réserve considérable qui lui permettait de continuer à améliorer les qualités sportives de la GTS et de la faire courir encore plusieurs années. Si bien que l’on s’interroge : si le sport améliore l’espèce, que ce serait-il passé si MG avait autorisé la commercialisation de l’ultime MGC, bête de sport bien aboutie et dotée d’une puissance
abondante et d’un comportement assorti ? « Je m’étais fabriqué un roadster Sebring, » rappelle Chatham aujourd’hui. « Il était connu sous le nom de Red Roadster, et j’ai couru avec un certain temps ; c’était une machine fantastique. Je l’ai amenée chez MG et leur ai dit : “Voilà ce que vous devriez faire.” Ils ont approuvé, car la voiture se distinguait vraiment de la B, et la MGC standard était trop fade, par comparaison. »

Malheureusement, à cette époque la version six-cylindres de la MG avait déjà été condamnée, et BL n’avait aucun intérêt à relancer un modèle plus agressif. Mais au cours des années suivantes, la “Sebringification” des MGB et C par des amateurs passionnés est devenue assez commune : une rapide recherche sur internet vous permettra d’en trouver des dizaines à vendre. Certaines sont superbement fabriquées, très fidèles aux machines d’usine, jusqu’à porter des immatriculations comparables. D’autres sont plus approximatives et tape-à-l’œil. Le dénominateur commun, c’est l’esthétique (avec notamment les ailes renflées), mais la voiture que vous avez sous les yeux peut prétendre à plus de crédibilité et d’authenticité car elle a été fabriquée par Chatham lui-même. Voiture-sœur de la Red Roadster d’origine, elle s’appuie sur sa vaste expérience de tout ce qui concerne la GTS.
Ce qui saute d’abord aux yeux sont les ailes élargies : “fade” n’est certainement pas le mot qui leur convient. Elles rappellent plus une Ford Escort prête pour les rallyes qu’une élégante GT six-cylindres (« Elles ont été moulées à partir de la vraie voiture d’usine, » selon Chatham) et auraient pu provenir d’une Mexico Mk1, et elles soulignent la destination de la voiture. Certes, la MG n’a jamais été conçue pour les spéciales de rallye, mais l’allure agressive de ces attributs suggère une capacité à se mettre facilement en
travers sur une piste en terre.
Comme les machines d’usine, cette voiture dépourvue de pare-chocs est dotée de panneaux avant et arrière modifiés (pour intégrer les prises d’air de refroidissement des freins, et les feux arrière), ainsi que des jantes Minilite 8J à serrage central ; des vraies, pas les répliques qui semblent fleurir aujourd’hui sur les anciennes. Double échappement inox, profilage de phares en Plexiglas et peinture jaune sur le soubassement avant (“à la Romeo”) rendent la voiture encore plus spectaculaire, alors que des cabochons avant inversés (comme sur les voitures d’usine, pour éviter que les phares additionnels viennent cacher les clignotants) complètent le tout. C’est un ensemble affirmé mais sans excès, grâce à la teinte vert foncé. Avec une paire de pare-chocs, cette voiture pourrait même sembler discrète.
Ouvrez la porte, prenez place à bord et le thème de la “virilité douce” se poursuit : les sièges baquets attractifs et confortables ont une allure sobre et parfaitement d’époque. Le volant Moto-Lita à trois branches gainées de cuir, plus petit que le Bluemel de série, est très prometteur. Pas d’excès, pas de fioritures, mais un habitacle bien pensé, efficace sans être dénué d’élégance. Assis au volant, l’ambiance reste très MGB, ce qui n’est guère surprenant : seuls des détails de finition distinguaient la B de sa sœur la C. Les fanatiques de la détection des différences remarqueront un compteur de vitesses jusqu’à 140 mph [225 km/h], soit 20 mph de plus qu’une B de la même époque, ainsi qu’un compte-tours qui, comme sa cousine quatre-cylindres, est gradué jusqu’à 7 000 tr/mn mais dont la zone rouge est à 5 500 tr/mn, soit 500 tours de moins. Sinon, tout est conforme à Abingdon, à la fois traditionnel et plaisant. C’est là que vous remarquez à nouveau les renflements : pas seulement le capot, mais les ailes arrière quand vous jetez un coup d’œil dans les rétroviseurs extérieurs.

imaginer qu’elle aurait pu remplacer l’Austin-Healey 3000.
“Elle vire avec neutralité, sans la nécessité d’un
préfixe, que ce soit “sur” ou “sous”
Au-delà de l’habillage agressif, ce n’est qu’au moment de la mise en route que la voiture révèle sa vraie nature. La sonorité est superbe : profonde, rauque et suggérant que les limitations de vitesses ne sont pas vraiment dans ses attributions. Jamais ce moteur ne semble dépassé, mou ou autre adjectif habituellement utilisé pour la version standard. Ce n’est évidemment pas surprenant, ce six-cylindres ayant bénéficié d’une préparation particulièrement soignée, avec plusieurs modifications comme un arbre à cames sport, un vilebrequin équilibré, un volant-moteur allégé, un collecteur d’échappement à six tubes, les deux carburateurs SU HS6 de série ayant laissé place à trois Weber 40DCOE. Il en résulte une puissance confortable de 217 ch, soit 50% de plus que la version de série.
Cette puissance supplémentaire est associée à un ensemble qui a tiré les leçons de la piste, à commencer par le poids. Au lieu des panneaux en alliage de la Sebring d’usine, cette voiture adopte la fibre de verre pour le capot, les ailes et les panneaux avant et arrière. La suspension est modifiée avec des barres de torsion plus dures, des amortisseurs spéciaux et un pont autobloquant. Bien assise sur ses 225/50 R15, cette MG a l’allure de l’emploi et, quand vous enfoncez la pédale sonore (oui, au-dessus de 4 500 tr/mn, le moteur émet un rugissement parfaitement anti-social propre à transformer une route de campagne en circuit de course), la voiture répond à toutes vos attentes. Elle négocie les courbes bien à plat et, dans les limites de la loi, elle vire avec neutralité, sans la nécessité d’un préfixe, que ce soit “sur” ou “sous”.
Peter Tomlinson, propriétaire de la voiture, créateur du programme TV “Tiswas” [émission comique à la BBC, de 1973 à 1982], adore exploiter les qualités de la Sebring sur le circuit de Shelsley Walsh : « Le rapport de pont permet de monter à 90 km/h en deuxième et près de 130 km/h avec l’overdrive, si bien que je n’ai pas vraiment besoin d’utiliser la troisième. » Il reconnaît aussi que, en conduite vraiment sportive, la MGC montre une tendance au sous-virage, mais limitée : « Comparée à toutes les voitures dont j’ai eu l’occasion de prendre le volant, excepté ma Subaru Impreza Prodrive, elle est extrêmement stable en virage ; et j’inclus des BMW, une Porsche 911, une Healey 3000 et une Sierra Sapphire Cosworth, ainsi que ma MGC d’origine, non modifiée. J’ai confiance en la voiture sur route ouverte, quel que soit le virage. » Tomlinson a acheté la Sebring pour remplacer une réplique de Cobra, ce qui traduit une attirance pour les roadsters musclés, et sa passion pour la MG est communicative. Il n’a d’ailleurs pas besoin de faire beaucoup d’efforts: une journée en compagnie de cette redoutable machine ne peut que laisser une impression fascinante de ce qu’aurait pu être une MGC bien au point.
En se débarrassant des spécifications standard, cette MG six-cylindres aurait pu être dans les années 1970 une inépuisable source de sensations, comblant le vide dans la gamme sportive de BL, à l’époque où la Jaguar Type E s’embourgeoisait et où l’archaïque TR6 était sur la voie de la retraite. « Sous cette forme, la MGC aurait pu constituer une remplaçante très crédible pour l’Austin-Healey 3000, reconnaît Chatham. Elle avait une coque rigide, vous pouviez utiliser la puissance et le couple pour vaincre la tendance au sous-virage et elle avait une allure beaucoup plus attirante que la C de série. Mais au lieu de choisir cette voie, BL a abandonné la voiture et laissé mourir MG. C’était criminel, un vrai désastre. »
Qu’une version de série de la Sebring n’ait jamais vu le jour est triste en effet, mais ne fait aujourd’hui que renforcer l’attrait de ce roadster. Bravo à John Chatham pour son fascinant hot-rod.
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