Les bombes des années 1990

Peugeot 306 Rallye (S16) - Ford Puma Racing - Honda Integra Type R

© Classic & Sports Car / Tony Baker

Simon Charlesworth se plonge dans l’univers des redoutables sportives des années 1990, extrêmement vives et légères, avec la sublime Peugeot 306 Rallye et deux de ses plus brillantes rivales, la Ford Puma Racing et la Honda Integra Type R.

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C’est une pure coïncidence : sortant de l’ombre, le soleil l’inonde de ses rayons, illuminant détails et surfaces. Les yeux sur l’immatriculation, je reste interdit, happé par les souvenirs. L’idée de cet article remonte en fait à l’époque où j’étais encore un jeune journaliste avec tous ses points de permis de conduire. Et qui est tombé sous le charme d’une étonnante boule de nerfs, cette voiture de presse qui attendait les essayeurs en mal de sensations et qui excellait à les rendre fortes. C’était une Ford Puma Racing, la première produite. Et comme vous l’avez sans doute deviné, c’était la voiture de cet article : V1 FRP.

Ruperts, l’homme du marketing, contesterait le fait que la Ford Puma Racing, la Honda Integra Type R et la Peugeot 306 Rallye (deux coupés et une compacte) aient jamais été concurrentes. En fait, la raison de les réunir est liée à ce qu’elles représentent, au crépuscule du XXe siècle : une espèce disparue de voitures à moteur atmosphérique, qui plaçaient le plaisir de conduire et des hauts régimes avant toute chose, en plus d’un toit et d’un prix abordable.

La Peugeot garde une allure discrète.

Les années 1990 n’ont pas été favorables aux “GTI” et voitures sportives. Si elles n’étaient pas volées sur un parking de gare ou utilisées comme voiture-bélier, elles sont devenues intouchables à cause de primes d’assurance trop élevées. De nombreux constructeurs ont donc rebadgé leurs GTI, ou tout simplement abandonné le secteur. Heureusement pour nous, les Français sont restés fidèles au genre. PSA a remplacé les Peugeot 205 et 309 par des modèles qui partageaient leur plateforme avec les Citroën équivalentes. La 306 était une 205 modernisée et plus spacieuse, sur la base de la remplaçante tardive de la GSA, la ZX.

La 306 Rallye de 1998 est un condensé des époques glorieuses de Peugeot. Ce modèle destiné exclusivement au marché anglais porte un nom déjà donné aux 205 et 106, et il est basé sur la 306 GTI-16 phase II. Produite à seulement 500 exemplaires, c’est l’équivalent de la 306 S16 Confort française. Affichant 167 ch à 6 500 tr/ mn, cette série limitée passait de 0 à 100 km/h en 6,9 s et atteignait 220 km/h en pointe. Avec un poids de 1 200 kg (52 de moins que la GTI-16), elle s’était délestée de lourds équipements électriques, d’insonorisant et de sa banquette rabattable 40/60.

“La 306 cache bien son jeu, comme un James
Hunt qui se rendrait au bal en survêtement”

On imagine facilement la Rallye considérant les deux autres voitures avec une pointe de mépris. N’affichant que quelques autocollants, elle cache bien son jeu, comme un James Hunt se rendant au bal en survêtement : “Tout ce que vous avez besoin de savoir est que je suis chic, vive et légère, et qu’on va bien se marrer, ok ? ” semble-t-elle annoncer.

La première Honda Integra des années 1980 était une cinq-portes fade et maladroite. Après avoir sauté une génération, le nom est revenu à la fin de 1997 avec l’Integra Type R. Oui, sa forme démodée restait un peu gauche, malgré un aileron et quatre phares. Elle avait toujours une allure très années 1980, avec quelque chose d’une navette spatiale à cause de son homologation en Groupe N et, au départ, elle n’était disponible qu’en Championship White. Elle avait un tableau de bord noir d’un autre âge, des sièges Recaro rouges ahurissants et, avatars de l’épidémie “tuning”, des jantes alliage blanches qui ressemblaient à des napperons de 15 pouces. Mais quand venait son heure sur le tarmac, elle pouvait chatouiller l’ego de machines beaucoup plus prestigieuses. Qu’importe son apparence, cette magicienne capable de dépasser 230 km/h redéfinissait la traction avant performante et, au moment où certains constructeurs reniaient leur rejetons sportifs, Honda relançait le jeu avec cette vigoureuse anomalie.

La Puma de 1997 baignait dans le design “New Edge”, avec un châssis superbe conçu sous l’autorité de Richard Parry-Jones, sauveur technique de Ford. La presse a adoré cette Fiesta MkIV et ses formes moulantes. Elle a fait un tabac et s’est vendue comme le font toujours les Ford réussies. Mais, avec ses moteurs Zetec SE double arbre 1,4 litre, puis 1,6 et 1,7 litre, il lui manquait un modèle vraiment sportif, dont les chambres de combustion pouvaient faire parler la poudre. Prévue comme un show car, l’Evolution était une hybride (une Puma de 300 ch sur une plateforme d’Escort Groupe A WRC) créée selon les vœux de Ford Racing et mise au point à Boreham. Elle partagerait sa carrosserie avec les kit-cars Puma VK14, VK16 et le concept ST160, génitrice de l’excellente Ford Puma Racing (FPR). Avec une allure plus proche d’un modèle de prestige que de la version musclée d’une voiture standard, la FPR affichait une voie large et des jantes de 17 pouces sous des ailes généreuses. Le pare-chocs avant, avec lame inférieure en imitation carbone, atténuait le “double menton” de la Puma.

Contrairement à sa pâle devancière à cinq portes, l’Integra est un coupé agile et extrêmement rapide,
capable de défier sérieusement certaines supercars. Mais l’allure manque de subtilité.

Un millier de FPR de teinte Ford Racing Blue auraient dû être transformées par Tickford, mais ce chiffre a été ramené à 500 voitures pour le marché anglais. Eh oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, les chiffres posaient un problème. Malgré les nouveaux arbres à cames et collecteurs, le 1,7 litre ne développait que 153 ch à 7 000 tr/mn, moins que ce que promettait la ST160. La question était réglée par le changement de nom. Mais ce qui ne pouvait pas être modifié, c’était le prix de 23 000 £, soit 5 000 £ à débourser pour 32 ch de plus et une vitesse de pointe assez peu exceptionnelle de 200 km/h.

Après un tour de circuit, l’on se sent un peu comme un novice dans une dégustation de champagne, prêt à dire à propos des trois : “Pas mal, j’aime bien celle-là.” Pour aller plus loin, il faut clairement râper un peu plus les pneus, mais je ne dois pas oublier ma promesse à Honda et Ford de ne pas brutaliser leurs classiques. La Rallye de Carl Chambers a aussi droit au respect : dernière produite, elle a été sauvée lors de la fermeture de l’usine Peugeot de Ryton. Elle est totalement d’origine, avec encore son odeur de voiture neuve et un compteur qui n’affiche que 308 miles (495 km) d’origine. Pourtant, Chambers encourage une conduite sportive car c’est bien ce qu’attend la voiture.

À première vue, le tableau de bord de l’Integra évoque un grand morceau de réglisse, puis les détails se détachent. L’habitacle est centré sur le conducteur, les compteurs et bouches d’aération comportent un entourage façon carbone, mais pas côté passager. Le matériau des commandes est choisi pour ses propriétés tactiles : le volant cuir, le pommeau de vitesses titane, les sièges Recaro qui vous enveloppent comme un gant de joueur de base-ball.

Le double becquet masque la hauteur de la caisse.

La position de conduite de la Rallye n’est pas loin derrière, grâce à un volant réglable, mais les sièges sont les moins enveloppants. Sur la Puma Racing, le siège est trop haut et le volant trop bas, la position se rapprochant plus d’un bateau de plaisance que d’une machine de course. Sa modeste origine Puma, affublée de sièges Sparco et de garnitures en Alcantara, ressemble à un accident dans une usine de peinture bleue. Mais Ford connaît ses clients et l’habitacle se démarque des autres, au risque de tomber dans un excès tapageur. La boîte à six rapports courts de la 306 est un festival de fluidité, mais elle se heurte ici à forte partie. La Ford iB5 à cinq rapports est un superbe compromis de précision, fermeté et sensation mécanique, mais elle semble assez ordinaire comparée à la Honda (c’est peut-être parce que j’en ai utilisé une sur plus de 200 000 km). Le levier de vitesses de cette dernière semble tout simplement plus vif, plus affûté, plus rapide ; à tel point que, en enchaînant les rapports, l’action se fait sans y penser, juste un mouvement vif du poignet. Pour profiter encore et encore de l’enivrant VTEC.

Sur l’Integra, l’attention apportée par le constructeur au poids (avec un rapport poids/ puissance de 6 kg/ch) et à la rigidité torsionnelle est omniprésente, depuis le pare-brise allégé jusqu’aux renforts de châssis. L’Integra est vraiment le meilleur compromis en termes d’adhérence et de tenue de route; la FPR colle encore plus à la route à cause du mordant de ses pneus 215/40 R17, mais c’est la moins joueuse. La Rallye, avec 7,1 kg/ch, est celle qui prend le plus de roulis, mais elle vaut l’Integra sur le plan motricité et adhérence (avec les mêmes pneus de 195/55 R15), même si l’arrière peut se prêter à un peu d’exhibitionnisme. Elle est capable d’un bel équilibre, mais cela réclame plus de concentration sur l’accélérateur que ses compagnes du jour. Elle a quelque chose de génial, mais le plaisir est un peu tempéré par des trépidations lors de freinage en courbe, façon 911. Sauf si vous êtes capable d’enfoncer l’accélérateur et de laisser le talent, les règles de la physique et le destin venir à la rescousse avant que les arbres se rapprochent.

La Puma compense son manque de puissance par l’adhérence fournie par ses énormes pneus
215/40×17, plus large et bas que ceux de la Honda et de la Peugeot.

“Dans une enfilades de courbes, la Ford tient
tête à ses congénères plus puissantes”

La Rallye commence à se réveiller à 3-4 000 tr/mn, avec un excellent couple de 20 mkg à 5 500 tr/mn. C’est le régime auquel les 167 ch du moteur XU 16-soupapes se mettent vraiment à l’aise, juste au moment où beaucoup de ses collègues rendraient les armes. En enchaînant les rapports, les pistons grondant et hurlant jusqu’à 6 500 tours, ce n’est que votre bienveillance mécanique qui empêche de pousser jusqu’à la zone rouge, à 7 000. Jouissif. La direction de la 306 n’est pas aussi directe que celle de l’Integra, mais elle est peut-être plus légère et plus civilisée. Et, contrepartie positive de la prise de roulis, elle offre le meilleur confort des trois. Si seulement les sièges maintenaient mieux… La 306 est aussi la plus pratique et, grâce à son allure assez discrète, elle ne provoque pas la testostérone des autres usagers au contraire de l’aileron de la Honda.

 Cette dernière joue dans une catégorie plus élevée que son quatre-cylindres. La sonorité est sauvage et, plus le régime augmente, plus elle devient stridente. À 3-4 000tr/mn, elle fait le bruit d’un employé bien élevé, mais passé 6 000 (quand le profil de distribution change), elle devient une rock-star déchaînée. L’intensité augmente jusqu’au pic de couple, à 7 300 tr/mn, la puissance de 187 ch étant obtenue à 8 000 tr/mn, 500 tours avant la zone rouge. Le moteur B18C6 semble littéralement possédé, et vous vous demandez comment il peut contenir une telle furie. La direction supporte étonnamment bien cette énergie et le train avant reste en ligne sans les errements erratiques d’un chien reniflant le sol. Les paumes restent sèches et les yeux dans leurs orbites. Comparée à un précédent essai avec une Puma Racing (pas V1 FRP) sur des routes très bombées, l’Integra se comporte remarquablement bien.

Au-dessus de 4 500 tr/mn, la FPR commence à chanter jusqu’à 7 000 tr/mn. Sa direction est plus directe que celle de la Rallye, la tenue de route plus généreuse, le roulis mieux contrôlé. La direction s’harmonise superbement avec le train avant, elle est très communicative et précise, même si elle a perdu un peu de légèreté par rapport à la Puma standard, à cause des pneus très larges. La Ford sait délivrer les sensations et le moteur Zetec SE (conçu par Yamaha) monte énergiquement en régime. Sa sonorité hargneuse est toutefois moins présente que celles de la Honda et de la Peugeot, et il offre aussi moins de puissance et de couple. Mais, avec les 132 ch dont elle doit se contenter, la Puma compense ce qui lui manque en accélération par une meilleure adhérence. En attaquant les enfilades de courbes prononcées, elle tient facilement tête à ses deux congénères plus puissantes.

Pendant la pause, nous échangeons nos impressions. Le père de Chambers, qui a senti mon attirance pour le projectile japonais, affirme que j’ai le “virus Honda”. Ce que je démens, mais au fond il a raison, même si je suis plus proche d’un fondamentaliste du Type R. Faites simple, faites léger, sans turbo. Et appliquez ce mantra à toutes ces classiques minimalistes. Ces trois voitures me réjouissent, mais je penche pour l’Integra. On ne peut être que fasciné par tout ce raffut mécanique, que Honda a poussé encore plus loin avec la stratosphérique S2000. Mais là où le constructeur n’a pas fait mieux, c’est au niveau du châssis, mélange de direction parfaite, de train avant incisif, de tenue de route sans défaut.

En réalité, cette remarque n’est pas correcte : ce n’est pas seulement Honda, qui n’a pas réussi à surpasser cette combinaison, ce sont tous les constructeurs. Comme avec la Mini et l’Alfasud, Honda a créé son propre problème : une machine tellement aboutie qu’elle continue à faire de l’ombre à toutes celles qui l’ont suivie.

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