
Éclipsée par la PV444, la grosse Volvo PV60 n’a vécu que quatre ans. Jon Pressnell prend le volant d’une rare survivante.
La PV60 est entrée dans la vie en tenant d’une main un certificat de naissance et de l’autre un avis de décès. Sa création répondait pourtant à une parfaite logique. Initiée à la fin des années 1930, la voiture était planifiée pour une présentation en 1940. L’objectif était de remplacer la famille PV53 à moteur six cylindres latéral dont les modèles, avec les précédentes PV51 et PV52, avaient donné à Volvo son statut de constructeur de taille moyenne. Avec des spécifications plus séduisantes, dont une suspension avant indépendante, il était question de produire 5 000 exemplaires de PV60 la première année, chiffre ambitieux par rapport aux quelque 2 000 voitures vendues en 1938.
Mais la guerre éclatait. La Suède étant un pays neutre, le développement pouvait se poursuivre et la PV60 était dévoilée en septembre 1944. Mais, à côté de la voiture exposée au Royal Tennis Court de Stockholm, Volvo présentait aussi un autre nouveau modèle, la PV444 de présérie. Dans les années de pénurie de l’immédiat après-guerre, il était facile de deviner laquelle de ces deux voitures aurait gain de cause.
Plus coûteuse à fabriquer et plus chère à l’achat, la PV60 était condamnée à une vie courte, d’autant plus qu’une longue grève pénalisant l’industrie suédoise repoussait le démarrage de production à décembre. Finalement, celle-ci allait se limiter à 3 000 exemplaires, en 1949 et 1950 principalement, plus 500 PV61 châssis-cabines carrossées en fourgonnettes, taxis et un curieux cabriolet. Par comparaison, presque 4 000 unités de la PV53 vieillissante voyaient le jour, la plupart avant la guerre et les dernières en 1945.
Il resterait 50 à 100 PV60 survivantes, dont une voiture appartenant à la famille royale de Suède et un seul exemplaire en Angleterre, où elle n’a jamais été officiellement importée (non plus qu’en France d’ailleurs). Appartenant à Andrew Anderson, cette voiture a été achetée il y a 9 ans en Suède, via une vente aux enchères en ligne. Andrew s’intéresse aux Volvo depuis 25 ans, depuis l’achat d’une 1800 S. Le livre de BjörnEric Lindh lui a ouvert les yeux sur le riche passé de la marque. « Je ne savais pas que Volvo avait une histoire aussi importante avant l’Amazon, précise-t-il. J’ai commencé à acheter des modèles peu connus, comme une PV651 de 1931, une PV36 Carioca 1936, une PV51 de 1937. Quand je participe à des expositions, elles déclenchent des questions; les gens ignorent souvent que l’histoire de Volvo remonte aux années 1920. »

“Deux anciens collaborateurs General
Motors ont influencé le style de la Volvo”
La PV60 n’avait pas besoin de beaucoup de travaux, à part une révision des freins et une rénovation de la sellerie. Heureusement, les sièges étaient encore suffisamment préservés pour servir de modèles et, par l’intermédiaire de Volvo Heritage en Suède, Anderson a pu contacter un collectionneur danois qui détenait le tissu correct (identique sur les premières PV444). Ainsi, les sièges ont été refaits avec l’aide de photos prises par Anderson de la PV60 royale, au musée Volvo. Les pièces de freins sont venues des États-Unis, d’un ancien stock neuf Lockheed. D’ailleurs, Anderson a découvert que la voiture partageait de nombreux accessoires mécaniques avec des voitures américaines de cette époque : des composants électriques Autolite 6 v, un carburateur Carter fabriqué aux États-Unis, une pompe à essence AC double usage qui génère aussi la dépression qui commande les essuie-glaces (identique à celle d’une Chrysler 1938).
Après l’américanisation des Volvo précédentes (et de la PV444), l’allure transatlantique de la PV60 n’est pas surprenante. C’est une sorte de clone de Pontiac 1939, jusqu’aux bananes de pare-chocs pointues et leurs filets horizontaux peints. Ce n’était pas une coïncidence. Deux anciens collaborateurs de General Motors faisaient partie de l’équipe de design et ont sans aucun doute influencé le style de la voiture. Et surtout, le constructeur de Gothenburg souhaitait enrayer la progression des marques américaines qui dominaient le marché suédois au lendemain de la guerre.
Quoi qu’il en soit, le dessin de cette limousine est assez plaisant et plus équilibré que la PV44 un peu “bossue”. L’arrière effilé intègre un coffre plat et une lunette en deux parties, avec une petite arête qui se prolonge vers le bas. Le montant central de pare-brise reprend un peu le même thème et les ailes avant comportent elles aussi une petite crête. L’avant reprend celui de la Pontiac, avec des louvres de forme différent et dépourvu de chrome. Les bas de caisse évasés, plutôt que des marchepieds pleins, sont un clin d’œil à la modernité, mais la voiture semble tout de même ancrée dans l’ère précédente. L’habitacle est de style américain de gamme moyenne. Anderson avoue que le joli réceptacle d’instruments, avec son marquage Art Déco, se retrouve aussi sur un modèle américain. La grille de haut-parleur centrale est également un détail transatlantique, de même que le cerclo-avertisseur et la commande de vitesses au volant; autant d’éléments qui allaient largement se populariser en Europe après la guerre. Avec un volant en plastique blanc et des commandes assorties, l’ambiance est suffisamment chaleureuse pour faire oublier la banquette habillée d’un tissu terne, et l’équipement assez limité ; il n’y a pas d’accoudoir central et seulement un vide-poche sommaire au dos de la banquette avant.

Les montants centraux portent toutefois un petit crochet pour pendre son manteau et les hauts de portes affichent des garnitures en plastique. Et surtout, l’arrière est très spacieux et comporte une moquette, alors que l’avant présente un tapis de caoutchouc, assez logique compte tenu du climat suédois. La mécanique de la PV60 est solidement orthodoxe. Le châssis en croix présente à l’avant une suspension indépendante à ressorts hélicoïdaux, avec des amortisseurs à levier faisant office d’arbres supérieurs et une barre antiroulis. Des amortisseurs télescopiques inclinés contribuent à guider l’essieu arrière rigide à ressorts à lames, la direction est à vis et les freins à commande hydraulique. Repris des Volvo précédentes avec une conception remontant à 1929, le six-cylindres 3 670 cm3 à soupapes latérales développe 90 ch et il est relié à une boîte trois rapports.
Ce n’est pas une recette sophistiquée, mais ça marche. La PV60 est une bonne routière, douce et facile à vivre, sans défaut évident. Doté d’un amortisseur de vibration, le moteur est souple et la voiture se déplace sans effort à 75 km/h sur un filet de gaz, ou peut accélérer plus énergiquement sur le deuxième rapport. Avec toute la souplesse que vous pouvez espérer, elle permet une conduite relaxante mais une certaine rudesse se manifeste au-dessus de 85 km/h, ce qui vous fait regretter l’absence de l’overdrive qui était disponible en option. La commande de vitesses au volant est exemplaire : avec des mouvements relativement courts, elle est précise et métallique et ne rate jamais un rapport. De son côté, l’embrayage est doux et bien équilibré et les freins à course un peu longue ralentissent efficacement la voiture. La suspension est souple sans être molle, avec une légère ondulation de l’avant sur les bosses. La Volvo prend du roulis en virage, sans plus, si bien que l’impression générale est celle d’un châssis confortable et correctement guidé. Avec une direction douce et suffisamment démultipliée pour ne pas être trop lourde à basse vitesse, la progression est toujours sereine et facile.
Avec cet ensemble accommodant, une position de conduite dominante et une robustesse éprouvée, la PV60 ne pouvait que gêner la progression des ventes de voitures américaines en Suède. Si elle avait été lancée à temps. Mais quand la production a commencé, elle était déjà en fin de vie, dans un monde où les priorités avaient changé. Et c’est vraiment dommage.
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