
Ils pensaient trouver une Rolls-Royce, mais pas celle-ci ! Chris Browne et David Whitehead racontent à Ross Alkureishi la restauration complète de leur splendide automobile, découverte un peu par hasard.
Certains plaisirs de la vie viennent des surprises qu’elle peut réserver. Pour Chris Browne, une conversation lors d’un dîner l’a conduit, avec son ami David Whitehead (lui aussi possesseur de Rolls-Royce Silver Shadow), dans un hangar à avions délabré du nord du Nottinghamshire. Comme le rappelle Browne : « Un ami connaissait mon intérêt pour tout ce qui concerne Rolls-Royce, et m’a indiqué qu’il pourrait connaître un endroit où se cachait une vieille Silver Shadow fatiguée. »
Une fois retirées les planches clouées sur l’entrée du hangar et les portes poussées, les deux hommes reçoivent un vrai choc. Whitehead raconte : « Chris m’a dit : « Est-ce que tu vois ce que je vois ? » et j’ai répondu « Ce n’est pas une Shadow ! ». » Dans leurs propos, l’excitation du moment est encore palpable. Ils sourient au souvenir de la réplique suivante de Chris, « Oh, et donc nous n’en voulons pas ? »
Ils identifient rapidement la voiture comme une berline Silver Cloud Standard Steel, avec un désirable six-cylindres en ligne : «Un pneu arrière était complètement à plat et la voiture était très sale, avec une accumulation de plusieurs années de crasse. À première vue, elle paraissait remarquablement complète, mais la carrosserie en acier était ravagée par la rouille. » Les vendeurs Jenny et Mac étaient de la famille du propriétaire, le regretté Jack Denman, agent de théâtre ayant notamment eu comme client Dave Allen, Pat Phoenix et Bill Maynard [comédiens britanniques connus]. Une somme importante leur avait déjà été proposée pour détruire la voiture et récupérer les pièces : « Une telle destruction de 90 Classic & Sports Car Juillet 2018 nous intéressait pas. Donc nous avons promis de restau[1]rer la voiture comme à l’origine et avons fait une offre. »
Trois jours plus tard, ils recevaient un coup de téléphone, comme l’explique Browne : « Jenny m’a dit qu’ils appréciaient ce que nous souhaitions faire de la Silver Cloud, et qu’ils avaient décidé d’accepter notre offre. La seule condition était que, une fois la restauration terminée, ils puissent être les premiers passagers que nous transportions. Nous étions évidemment ravis de leur faire cette promesse. » Une fois “déterrée”, la voiture était transportée jusqu’à l’impressionnant atelier de Whitehead, chez lui. Les deux amis étaient maintenant propriétaires d’une Silver Cloud première main, jamais restaurée ni modifiée, affichant moins de 27 000 miles [43 400 km] et présentant encore son immatriculation d’origine.
Les ailes avant avaient toutefois été réparées avec des éléments en fibre de verre et la peinture bicolore avait été refaite en gris sur un vert Fiat des années 1970. Mais à l’intérieur, tout paraissait remarquablement bien préservé. Le dernier disque fiscal, sur le siège avant, avait expiré cinq ans plus tôt, en avril 2006.
« Notre premier objectif a été de faire le nécessaire pour pouvoir la présenter au contrôle technique, indique Browne, car nous nous étions inscrits à un week-end de séminaire technique Silver Cloud orga[1]nisé par le Rolls-Royce Enthusiasts’ Club. Nous espérions nous y rendre par la route, pour que les instructeurs nous aident à évaluer son état. » Ils se procuraient un manuel d’atelier de l’usine et commençaient les opérations de remise en route, dont une réfection des pompes à essence et des carburateurs SU, et une vidange de tous les fluides. Des autocollants de couleur au bout de chaque tringle aidaient à régler le De h en b : Whitehead profite du parfait fonctionnement de la voiture, dont toute la mécanique a été revue ; le premier propriétaire était Jack Denman, agent de théâtre s’occupant notamment du comique Dave Allen. système de freinage complexe, souvent décrié, et à s’assurer qu’il fonctionne correctement.

Cela peut paraître simple, mais rien que permettre à cette voiture de reprendre la route a nécessité neuf semaines de travail. Mais au bout du compte, ils disposaient d’une voiture tout à fait fonctionnelle, avec comme seul défaut bien identifié un passage difficile du deuxième au troisième rapport de la boîte automatique. « Nous l’avons présentée à nos instructeurs Steve Lovatt et Eric Healey et leur évaluation experte a conclu que la voiture était évidemment très décrépie, mais avec une bonne nouvelle : comme rien ne manquait, ce qui est rare sur une Silver Cloud, elle constituait une bonne base de restauration. » Assister aux conférences des instructeurs, discuter avec d’autres propriétaires et voir la qualité de leurs voitures a eu un effet très positif sur leurs plans. « J’ai pensé que nous ne pouvions pas bâcler le travail, » affirme Whitehead. Et en repartant, ils se sont accordés sur le fait qu’une restauration complète s’imposait.
En mai 2011, ils se lançaient dans le démontage de l’intérieur, en commençant par les garnitures bois, puis la sellerie. Le bois était craquelé par endroits et il est rapidement apparu que les moquettes Wilton d’origine, bordées avec le même cuir que les sièges, ne pouvaient pas être sauvées. « Nous avons eu énormément de chance, rappelle Browne, car nous avons trouvé exactement les bonnes moquettes et le cuir Connolly correct marqué RR et Connolly au dos, pour 40 £ sur eBay. » Il a effectué lui-même tous les travaux sur le bois et le cuir, en recherchant comment effectuer la restauration correctement, prenant des Juillet 2018 Classic & Sports Car 91 conseils auprès du club. « Nous n’avions pas de formation, précise Whitehead, et avons juste posé des questions sur la meilleure façon de procéder, écouté et appris. » Leur chance se poursuit quand un nouveau voisin s’installe à côté de l’atelier : «C’était un sellier, qui avait tous les outils et machines à coudre. Il a fait les ourlets de moquettes, et un de mes amis a réalisé le ciel de toit en tissu West of England. » Une fois terminés, ces éléments ont été soigneusement mis de côté en attendant leur pose.
La reconstruction moteur a constitué une opération très importante, car tout a été démonté, réparé ou remplacé. « Le club a des archives sur toutes les voitures produites, affirme Browne, et tout est relié au numéro de châssis. Vous pouvez tout retrouver et vous conformer strictement aux spécifications d’origine. » Après avoir essayé sans succès de corriger le problème de la transmission automatique, elle était envoyée à un spécialiste pour une remise en état complète. Il y avait une répartition des taches bien défi[1]nie entre les deux amis : Browne se chargeait de nettoyer, fabriquer des patrons et remettre à neuf, Whitehead s’occupant de fabrication, réparations mécaniques et soudure. Et, comme l’explique Whitehead, la partie la plus difficile a commencé, la carrosserie et le châssis: « Le châssis était sévèrement rouillé mais un spécialiste du club nous a dit : “Quoi que vous fassiez, ne déposez pas la carrosserie, car vous ne réussirez jamais à la remonter,” alors qu’un autre affirmait : “Il faut la déposer, car sinon vous ne parviendrez jamais à restaurer le châssis correctement.” »

repeinte en Shell Grey et Velvet Green d’origine.
“Le carton, genre paquet de corn flakes, a les
mêmes propriétés de cintrage que l’acier”
Optant pour la deuxième solution, Whitehead renforçait la carrosserie (qui comporte 15 points de fixation) et passait deux semaines à fabriquer un gabarit pour le châssis: « Le club a un châssis de Cloud III dont j’ai pu prendre les cotes. Cela valait le coup d’être très précis. Nous disposions de temps, plus que d’argent. » Son pont à quatre colonnes a permis de faire passer le châssis par en dessous, la carrosserie restant sur le pont.
Les longerons arrière avaient subi une corrosion perforante et, pour éviter d’acheter les éléments coûtant 540 £ pièce, il se mettait au travail. « J’ai placé les points de soudures aux mêmes endroits, donc la présentation est comme à l’origine. J’ai probablement passé une semaine pour fabriquer les deux, mais l’opération m’est revenue à 20 £ par longeron, avec une demi-feuille d’acier de 3 mm. Vous tâtonnez un peu avec le premier, mais après cela va tout seul. » Tout en déambulant dans l’atelier, il se saisit d’un morceau de vieux lampadaire : « C’était la même chose quand j’ai fait les ailes avant; je plaçais une pièce de ce genre dans l’étau, prenais mes morceaux d’acier et les formais autour. Le carton, genre paquet de corn flakes, est utile également, car il a les mêmes propriétés de cintrage que l’acier et vous permet d’obtenir des courbures correctes. »
Alors, pas vraiment les méthodes traditionnelles de restauration de carrosserie? « J’ai fabriqué ma propre voiture quand j’avais 17 ans: châssis de Triumph Herald, pont arrière de Spitfire, moteur de Dolomite, boîte de vitesse de Marina, panneaux réalisés avec du carton et de l’aluminium formé autour d’un tuyau d’évacuation d’eaux usées. Un ami m’a demandé jusqu’où j’irais; la réponse a été Monte-Carlo. » La remise en état de la carrosserie a été le chantier le plus important, car la partie inférieure était en dentelles. « Nous avons dû faire des points de soudure à environ 2,5 cm d’intervalle, pour éviter les distorsions, explique Browne. Et ensuite combler les espaces, et encore combler, jusqu’à obtenir un fil de soudure ininterrompu, mais c’était très long et difficile pour éviter les déformations dues à la chaleur. Dave a réparé les panneaux morceau par morceau, en renforçant quand nécessaire. »
Une fois la carrosserie terminée, ils ont accepté l’offre de Steve Lovatt (ristesmotors. co.uk) d’occuper un espace dans son atelier de carrosserie de Nottingham : « C’est le chef instructeur du club, spécialiste Rolls-Royce, et surtout un passionné. Dans le milieu, ils savaient que nous ne roulions pas sur l’or et ils nous ont vraiment aidés. » Ainsi, ils ont pu continuer les travaux de carrosserie sous les conseils de spécialistes de la marque. « Nous voulions essayer de peindre la voiture nous-mêmes mais notre environnement n’était pas assez propre et si vous voulez une belle finition il faut y mettre les moyens, rappelle Whitehead. Une fois que la carrosserie était prête pour la peinture, ils nous ont dit que nous avions fait tout ce que nous pouvions et qu’il fallait confier la suite à des professionnels. »
Les autres dépenses inévitables (et élevées) ont concerné 124 pièces à rechromer, et la refabrication de joints en caoutchouc (ces derniers pour 650 £) : « Nous sommes passés par une entreprise américaine, jusqu’au plus petit élément que vous pouviez imaginer. » Ils ont aussi confectionné un faisceau électrique neuf aux spécifications du constructeur, avant de remonter la mécanique dans le châssis.

« Nous avons réglé le moteur avec un banc de diagnostic Crypton, donc c’était impeccable, rappelle Whitehead, et j’ai dit à Chris : “Je me demande si je peux poser une pièce de monnaie sur la tranche pendant que le moteur tourne.” Et la pièce a tenu. C’est un moteur magnifique. » La carrosserie, de teinte Shell Grey et Velvet Green d’origine, a retrouvé sans problème sa place sur le châssis, et il leur restait une semaine pour l’équiper avant le rallye Rolls-Royce de 2015. Pas d’essai préalable, ils ont pris la route directement. Mais les efforts le méritaient, car ils ont décroché le trophée Douglas Wood du RREC pour la meilleure restauration personnelle.
En juillet 2014, Browne a commencé à rédiger des rapports de travaux dans le magazine du club, The Bulletin, un récit épique. Comme le précise Whitehead : « Quelqu’un est venu me voir et a dit, “j’ai vu votre article sur la façon dont vous avez fabriqué des morceaux pour les ailes avant, êtes-vous spécialiste en carrosserie ?” J’ai répondu non. “Mais les courbures composites sont vraiment difficiles à former,” m’a-t-il répondu. En fait, je m’étais lancé sans réfléchir. Si j’avais su qu’il s’agissait de courbures composites, je n’aurais même pas essayé. »
Ils mentionnent le Rolls-Royce Enthusiasts’ Club et l’aide de personnages comme Lovatt et John Creasy, véritable encyclopédie ambulante, qui ont joué un rôle très important dans la réussite du projet. « Sans eux, confirme Browne, nous n’aurions pas été capables de le mener à bien. » Fidèles à leur promesse, en novembre 2015 ils ont ramené la Silver Cloud chez les cousins du premier propriétaire. « Ils étaient aux anges, indique Whitehead. Le plus âgé De haut en bas : le six-cylindres est d’une douceur phénoménale ; habitacle cossu et finition impeccable ; manuel d’atelier d’origine. était atteint de la maladie d’Alzheimer, mais il était lucide pendant la balade car il se souvenait de la voiture quand il était enfant ». D’après Browne, il existe au RREC deux sortes de collectionneurs : « Ceux qui ont les moyens de payer pour que les travaux soient effectués, et ceux qui comme nous ne devraient pas se lancer dans une marque comme Rolls-Royce. »
Sauf que le résultat montre exactement le contraire. Browne travaillait dans l’industrie du pneu et Whitehead comme chef de distribution chez Boots, et aucun des deux n’avait de formation formelle. Ils ont travaillé sur la voiture cinq jours par semaine pendant quatre ans, et cette superbe Silver Cloud montre clairement que les seules limites à ce que vous pouvez réaliser, avec une restauration, proviennent des individus eux-mêmes.
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