Pur-sang pour la route

Mercedes 300 SL roadster - Maserati 3500 GT Spyder Vignale - Jaguar XK 150 roadster

© Classic & Sports Car / Tony Baker

Même si elles évoquent plus la Côte d’Azur que le circuit de Daytona, les lignes séduisantes de ces trois roadsters dissimulent un sérieux pedigree, comme le rappelle Malcolm Thorne.

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La course automobile a-t-elle connu période plus magique que les années 1950 ? Une époque aussi grisante que dangereuse, l’absence de sécurité se combinant aux performances impressionnantes des machines les plus rapides. Autant les circuits étaient meurtriers, autant les voitures étaient belles, tracées par de vagues notions aérodynamiques et par l’intuition de leurs concepteurs.

De plus, les meilleures voitures de compétition des années 1950 pouvaient rouler sur route ouverte, et elles ont été nombreuses à le faire. Il n’y avait rien d’extraordinaire à effectuer un rodage sur le trajet de l’usine au circuit. A partir de là, l’idée d’utiliser un tel bolide comme automobile de tous les jours était évidemment séduisante, mais avec certains inconvénients : des détails terre-à-terre comme un coffre à bagages, un silencieux d’échappement et des portes ne sont pas là par hasard…

Heureusement, pour les riches amateurs rêvant de la sportive ultime, Jaguar, Mercedes et Maserati avaient la réponse. Contrairement à aujourd’hui où les prototypes LMP ne ressemblent en rien aux voitures commercialisées, l’XK 150, la 300 SL et la 3500 GT étaient d’authentiques sœurs de race des machines qui écumaient les circuits de Sebring, du Mans, des Mille Miglia ou du Nürburgring. Partageant de nombreux composants avec les versions course, ces cabriolets présentaient aussi la sophistication et le confort permettant d’attirer une jet-set émergeante, si bien qu’ils étaient rapides mais pas capricieux, élégants sans brutalité. Ces voitures étaient les plus sexy de leur époque.

La troisième génération d’XK n’a rien perdu de son attrait.

“L’insigne rappelant fièrement
cinq victoires au Mans était
un argument de poids”

Elles sont toutes trois apparues à la fin des années 1950, mais la plus ancienne est la Jaguar. Même si elle a été dévoilée en 1957 (sous forme cabriolet et coupé, puis roadster en 1958), elle correspondait à la dernière déclinaison d’une série qui avait vu le jour neuf ans plus tôt avec la superbe XK 120, avant d’évoluer vers l’XK 140 plus facile à utiliser, sans oublier les brillantes Type C et D de compétition. La 150 reprenait la forme générale de ses devancières, mais avec une calandre plus large, un pare-brise bombé et une ligne de caisse plus droite (et des vitres remontantes…), ce qui lui permettait de rester dans l’air du temps.

Sous la carrosserie, la part du lion de ce félin ne changeait pas beaucoup : un six-cylindres double arbre 3 442 cm3 trouvait place dans un robuste châssis en acier, avec transmission aux roues arrière. La suspension reprenait les barres de torsion à l’avant et les ressorts semi-elliptiques à l’arrière, quatre disques Dunlop assurant le freinage et une crémaillère la direction. Tout cela n’avait rien de révolutionnaire, mais l’insigne rappelait fièrement les cinq victoires aux 24 Heures du Mans de 1951 à 1957, argument de poids pour les hommes du marketing. Le pedigree de l’XK ne manquait pas de prestige et, à 2 000 £ en Angleterre (3 050 000 francs en France en 1959), elle était particulièrement abordable. Ainsi, elle pourrait être considérée comme le point de référence pour les autres voitures.

La carrosserie du roadster 300 SL mêle extensions d’ailes profilées, prises
d’air, baguettes et chromes, sans pour autant paraître désordonnée.

“Évoquant la vitesse, les détails de style
sont aussi étonnants que fonctionnels”

Vendue plus du double de la Jaguar (6385000 francs), la Mercedes 300 SL n’en était peut-être pas une concurrente directe, mais les deux promettaient un niveau comparable de performances et de panache. Mais si l’allure de l’an[1]glaise reste traditionnelle, celle de l’allemande est beaucoup plus spectaculaire et la carrosserie affiche toutes sortes de détails évoquant performances et vitesse, aussi étonnants que fonctionnels. Depuis les extensions d’ailes effilées jusqu’aux bossages de capot (l’un pour laisser place au moteur, l’autre par souci de symétrie), la 300 SL est aussi audacieuse qu’une star de Salon. Le fait qu’elle ait été aussi une voiture de série utilisable et fiable a dû paraître à l’époque totalement stupéfiant.

Comme la Jaguar, la Mercedes a été lancée en 1957 et remplaçait le fantastique coupé “Papillon” dévoilé trois ans plus tôt. Le vaisseau spatial de Stuttgart était une version de série de la W194 qui s’était bâtie sur circuit une réputation redoutable. Comme sa devancière, la 300 SL cabriolet comportait une structure tubulaire (au lieu du châssis en échelle qui était la norme à l’époque) dont les tubes latéraux avaient été modifiés pour abaisser les seuils et permettre la présence de portes traditionnelles.

Comme sur le coupé, le moteur était un six-cylindres en ligne 2 996 cm3 à carter sec (incliné à 45° pour pouvoir abaisser le capot) et, la technologie étant à la mode, alimenté par une injection Bosch. En plus de la capote et des portes, des phares verticaux distinguaient le cabriolet du coupé, la fameuse suspension arrière oscillante étant modifiée avec un pivot plus bas et un ressort transversal compensateur, ce qui rendait la voiture plus progressive à la limite. Si la Jaguar et la Mercedes sont immédiatement reconnaissables, la troisième voiture de notre rencontre est plus énigmatique. Non pas que la Maserati soit moins attirante que ses contemporaines : au contraire, sa ligne signée Giovanni Michelotti est un chef-d’œuvre. Mais elle est de loin la plus rare, avec une fabrication artisanale très éloignée de l’industrie de masse. Cela dit, la Tipo 101 était la première tentative du Trident de proposer une vraie voiture de tourisme, donc ces chiffres sont relatifs: la 3500 GT a été produite en beaucoup plus grande quantité que les Maserati précédentes, mais dans le cas du Spyder il est question de centaines plutôt que de milliers.

Le style du Spyder mêle élégance et sportivité discrète.

“Indiscutablement rapide, cette Maserati est bien
plus qu’une 250 F biplace”

Garée à côté des 300 SL et XK 150, l’Italienne est comme un prélude aux années 1960, plutôt qu’un hommage à la décennie précédente; c’est d’ailleurs la dernière née du trio : si le coupé 3 500 GT est apparu en même temps que les deux autres voitures, le Spyder a été dévoilé deux ans plus tard, en 1959. Avec une certaine logique dans le cas d’un constructeur dont la production était limitée, le Tipo 101/C différait plus de la version fermée que dans le cas de la Jaguar et de la Mercedes. Habillé en acier par Vignale au lieu de l’aluminium du coupé Touring Superleggera, le Spyder répondait à un style plus tendu, moins bulbeux. Par ailleurs, il affichait un empattement plus court de 10 cm, ce qui faisait de la banquette arrière un élément plus décoratif qu’utilisable, mais la mécanique restait la même.

Pourtant, la 3 500 GT n’était pas aussi italienne que vous l’imaginez car, pour passer d’une production à l’unité à une petite série vendue clé en main, elle s’appuyait sur plusieurs composants provenant d’autres constructeurs ou équipementiers : une boîte ZF (à quatre, puis cinq rapports), des triangles de suspension Jaguar, des freins Girling (avec quatre disques sur les dernières versions, comme ici) et un pont arrière Salisbury. Mais si vous pensez que cette native de Modène est un bitza, alors penchez-vous sous le capot. Équipé d’une version à carter humide du six-cylindres en ligne double arbre de la 350 S de compétition, cet élégant cabriolet est un pur-sang. Certaines 3500 GT étaient dotées de carburateurs Weber mais, comme la Mercedes, celle-ci présente l’avantage d’une injection Lucas (l’inscription iniezione à l’arrière rappelant cette avancée technique), combinée à un double allumage Marelli. C’est une machine dont l’exotisme fascinant vous donne envie d’en explorer sans tarder les possibilités.

Une fois installé dans les superbes sièges en cuir, il est difficile de ne pas être séduit par l’aménagement intérieur. Depuis le grand volant à trois branches jusqu’aux vitres électriques et aux instruments Jaeger, l’habitacle donne une impression merveilleusement romantique, propre à transformer une froide matinée d’hiver en journée ensoleillée californienne ou d’une côte méditerranéenne, lieux prédestinés pour cette automobile. À l’époque (et c’est encore le cas aujourd’hui), la Maserati était la plus chère des trois, et elle le fait savoir.

Le six-cylindres prend vie facilement, se stabilise sur un ralenti doux et posé et, malgré ses nobles caractéristiques, ne laisse pas transparaître le caractère capricieux d’une prima donna. Passez la première, démarrez tranquillement et cette impression de facilité se poursuit. Confortable, le Spyder Vignale accélère sans à-coup et constitue un moyen plaisant de paresser au volant. Mais ce serait un crime d’en rester là… Une fois en température, poussez les régimes et la Maserati révèle une personnalité plus affirmée, en vous accompagnant d’un hurlement strident qui rappelle un avion de chasse à compresseur de la deuxième Guerre Mondiale. Il y a toutefois quelques vibrations parasites et la boîte réclame un mouvement ferme (surtout en rétrogradant), mais le moteur est un joyau et la direction très équilibrée un vrai plaisir. Le compteur de vitesses affiche un très optimiste 300 km/h et, s’il y a peu de chance d’atteindre une telle allure, cette Maserati est indiscutablement rapide. Les freins à disques sont efficaces et elle est bien plus qu’une 250F biplace. Une machine vraiment convaincante, tout simplement.

Enjambez maintenant le haut seuil de porte de la Mercedes et vous découvrez une ambiance complètement différente. À l’exception des sièges baquets (la seule des trois ainsi équipée) très efficaces, le reste répond au style juke-box typique de Detroit avec une abondance d’éléments stylisés et chromées, comme le réceptacle d’instruments placé entre le compteur de vitesse et le compte-tours VDO, avec niveau d’essence, pression d’huile, température d’eau et huile. Le cuir est abondant et vous ne pouvez vous empêchez de penser que si vous remplaciez l’étoile du moyeu du grand volant blanc par un insigne Cadillac, nombreux sont ceux qui n’y verraient que du feu.

Mais le bruit n’est pas celui d’un V8 latéral (non plus que la sonorité grisante de la Maserati). Le six cylindres rappelle plutôt un gros et puissant moteur de bateau avec un vrombissement qui, bien que très affirmé, est étrangement décalé par rapport au style de la voiture. Ce qui n’empêche pas cette Mercedes d’accélérer avec une vivacité tout aussi convaincante que la Maserati.

Comme vous pouvez l’attendre d’une telle machine, la 300 SL se prête à la conduite rapide, mais elle est moins exigeante que la Maserati. Les automobiles allemandes de cette époque présentent une certaine homogénéité et, si une Porsche des années 1950 donne l’impression d’une Volkswagen améliorée, la Mercedes est comme une version plus imposante, plus rapide et plus puissante de la Porsche. Elle présente la même commande de vitesses facile et réclamant un mouvement ample, les mêmes freins rassurants (les disques ont remplacé les tambours en 1961) et le même confort souple, le meilleur de notre trio. Le dernier détail concerne la suspension arrière indépendante à demi-essieux oscillants, autre caractéristique typiquement allemande de l’époque. Réagirait-elle violemment si vous écrasiez les freins en virage ? Bien que la voiture soit assurée pour plus d’un million d’euros, je ne tiens guère à en faire l’expérience, même si le regretté John Surtees considérait le roadster comme beaucoup plus sûr que le coupé Papillon.

Si l’habitacle de la 300 SL n’est pas loin du tape-à-l’œil, celui de la Jaguar présente un sobre traditionalisme qui provient bien sûr de son origine remontant aux années 1940. L’énorme volant à quatre branches est proche du thorax et laisse aux cuisses un espace mesuré, les pédales d’embrayage et freins sont nettement démodées et vous êtes assis haut sur ce qui est presque une banquette fixée au plancher. Les grands instruments Smiths sont regroupés au centre du tableau de bord recouvert de cuir. L’impression générale est celle d’une machine plus haute, plus physique, plus ancienne. Mais cela n’écarte pas la Jaguar du jeu; c’est simplement une indication des progrès effectués depuis l’XK 120. Et si l’ambiance est démodée comparée aux deux autres, les performances restent tout à fait à la hauteur.

Le 3442 cm 3 longue course arrache la voiture sur une vague de couple accompagnée d’un grondement à la fois doux et profond, qui ne peut provenir que d’un gros six-cylindres anglais. Le petit levier incliné de la boîte Moss à quatre rapports ne doit pas être brusqué mais, si vous lui laisser dicter son rythme (en décomposant le mouvement d’un rapport à l’autre pour éviter d’embarrassants craquements), elle est assez plaisante à l’usage. Surtout, avec son confort plus ferme, ses commandes plus dures et son aménagement plus spartiate, c’est la Jaguar qui aurait donné à l’automobiliste des années 1950 l’impression la plus sportive des trois voitures. Elle fait penser à une MGA gonflée aux stéroïdes, ce qui n’est pas une mauvaise chose aujourd’hui. Ce n’est pas une voiture à balancer brutalement d’un virage à l’autre (aucune ne l’est, en fait), mais elle accepte de rouler vite sur des routes faites de courbes à grand rayon, tout en donnant une impression plus solide que l’Italienne et plus discrète que l’allemande. Un ensemble très séduisant.

Aujourd’hui comme à l’époque, ces trois cabriolets offrent un mélange sublime de performances, de style et d’optimisme mais, malgré leurs similitudes, chacun d’eux présente une personnalité distincte. Du coup, choisir une préférée dépend presque autant de votre humeur du moment que de la voiture elle-même. Objectivement, c’est la Jaguar qui doit gagner: elle offre de loin le meilleur rapport prestations/prix et, bien qu’elle soit la plus datée des trois, elle oppose à ses rivales une sérieuse concurrence. Mais les voitures anciennes n’ont pas grand-chose à voir avec l’objectivité, et donc notre gagnante correspond à un choix totalement subjectif. S’il s’était agi d’un coupé Papillon, je pense que la Mercedes aurait battu l’opposition dans la bataille pour me séduire, mais l’absence du pavillon de cette incroyable machine rend l’expérience moins spectaculaire. La bagarre est serrée, mais au bout du compte la version compétition la moins titrée correspond au meilleur cabriolet: la SL était imbattable sur circuit et Jaguar a remporté un score brillant aux 24 Heures du Mans mais sur la route, grâce à son moteur magnifique, c’est la 3500 GT la reine du bitume.

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