
Avec leur moteur central, la Fiat X1/9 et la Lancia Beta Monte-Carlo (née X1/8) auraient dû faire partie de la même gamme, mais le sort en a décidé autrement.
Les années 1970 sont souvent considérées comme responsables de la mort des sportives abordables. C’est sans doute vrai des roadsters britanniques produits en grande série, qui n’ont pas réussi à suivre la voie de petits constructeurs comme Lotus, mais pas autant des voitures de sport produites par une autre grande nation dans ce domaine, l’Italie. Conçues à l’origine pour remplacer le Spider Fiat 850 et le coupé Fiat 124, les deux sportives de ces pages se sont détournées d’une configuration conventionnelle pour adopter une architecture plus avancée. Inspirées par la Formule 1 et par les bouleversements qu’a connu le sport automobile dans les années 1960, la Fiat X1/9 et la Lancia Beta Monte-Carlo ont été parmi les premières à démocratiser le moteur central arrière.
Leur gestation n’a pourtant pas été un long fleuve tranquille. Bien qu’à la naissance elles se soient succédées dans la nomenclature des prototypes Fiat (la Lancia a été initialement dénommée X1/8, puis X1/20 en 1972, alors que la X1/9 a gardé son appellation jusqu’à la commercialisation), beaucoup de choses se sont produites entre les premières esquisses et leur version finale.
Le projet X1/20 a démarré en 1970. Il correspondait à une Fiat à moteur central dessinée par Pininfarina, qui allait être la première voiture entièrement conçue et fabriquée par le carrossier. Équipé d’un moteur dérivé du V6 de la Fiat 130, un des deux prototypes était engagé au Giro d’Italia 1974 pour faire un peu de publicité. Dénommée Abarth 030 Pininfarina et engagée comme Abarth SE 30, cette machine de 3,5 litres disposait de 285 ch pour un poids de 910 kg. La SE 30 terminait deuxième au Giro, ce qui n’empêchait pas le projet d’être abandonné. La voiture avait été en effet battue par une Lancia Stratos : une telle concurrence au sein du groupe Fiat n’était pas particulièrement bienvenue. En ajoutant à cela des crises de l’énergie répétitives, il était décidé que la nouvelle X1/20 recevrait un moteur quatre -cylindres.

“C’est une des premières sportives à moteur central,
qui ne vous précipitera pas hors de la chaussée”
La X/20 était dévoilée en 1975, avec un an de retard sur le programme, sous le nom de Lancia Bêta Montecarlo. Disponible sous forme coupé ou spider à toit “targa”, elle comblait le “trou” que connaissait la gamme Lancia depuis l’arrêt du coupé Fulvia. Le choix de la marque et du nom était provoqué par le coût de fabrication élevé de la voiture : chez Lancia, un prix de vente confortable était plus acceptable que pour les Fiat de grande diffusion.
La Montecarlo était équipée du quatre[1]cylindres 2 litres double arbre de la Bêta, signé Aurelio Lampredi, développant 118 ch et relié à une boîte cinq rapports. Elle disposait d’une suspension indépendante et de freins à disque. Ainsi, même si ce modèle dessiné par Paolo Martin était plus économique que son prédécesseur à moteur V6, il ne manquait pas de punch.

L’origine de la X1/9, de son côté, est à chercher chez un autre membre de la grandissante famille Fiat SpA : Autobianchi. Ce constructeur avait été acheté en 1968 et, au Salon de Turin 1969, avait dévoilé un concept car biplace ultramoderne du nom de Runabout. Un peu vaisseau spatial, un peu bateau sur roues, cette fantaisie futuriste avait été dessinée aux studios Bertone par un maître du style “en coin”, Marcello Gandini. Toutefois, comparée à cet étonnant Runabout, la X1/9 de série a ensuite gagné une meilleure adaptation à un usage routier et une ligne plus fine et tendue.
Située dans une catégorie plus modeste que la Montecarlo, la X1/9 recevait aussi une suspension indépendante et un moteur central, mais il était cette fois transversal et provenait de l’Autobianchi A112 à traction avant, voiture issue de la Fiat 128. Ce quatre-cylindres 1290 cm3 à simple ACT était conçu lui aussi par Lampredi et, avec son carburateur Weber double-corps (comme le coupé 128), il développait 75 ch à 6 000 tr/mn. La X1/9 disposait d’un quatrième rapport plus long, ce qui permettait de mieux exploiter son meilleur profilage aérodynamique. Son lancement était prévu pour le Salon de Turin 1972, mais il était repoussé de façon à ne pas voler la vedette à la 132.
Abarth transformait la X1/9 en machine de rallye pour remplacer la Fiat 124. Comme dans le cas de la SE 30, les prototypes montraient un potentiel encourageant, avec trois victoires (Alpi Orientali, Coppa Trabucchi et le Laburna Rally), mais au bout d’une saison et avant même que la voiture n’obtienne l’homologation Groupe 4, le projet était abandonné au profit de la Fiat 131.

En 1978, la X1/9 évoluait avec un moteur 1498 cm3 de 85 ch et une boîte cinq rapports, de gros pare-chocs et un capot moteur plus imposant. Au grand regret des amateurs, ni le moteur Lampredi double arbre ni le Uno Turbo ie de 1985 ne seront officiellement proposés. Quelques années plus tard, en 1982, Bertone reprenait la production de la X1/9, à la suite de la décision de Fiat d’arrêter le modèle. Si vous comparez la X1/9 à quelque chose comme une Triumph Spitfire, vous comprendrez facilement pourquoi la petite Fiat a gagné le surnom de “petite Ferrari”. Ses spécifications mécaniques et son style audacieux reléguaient l’anglaise au rang de diplodocus dépassé. Pourtant, au cours de notre séance de photos entrecoupée d’averses et de coups de chiffons, la forme signée Pininfarina a attiré plus de curieux que celle de Bertone.
Nous sommes dans les collines de Malvern, non loin de chez Morgan, marque qui ignore le passage du temps. On ne peut pas en dire autant de la route qui a mal vieilli. Le petit ruban qui serpente est parsemé de nids-de-poule et ne comporte aucune protection contre les arbres ou les fossés, ce qui rend la conduite prudente. Heureusement, nos deux propriétaires ont bravé les mauvaises conditions météo avec leurs superbes voitures. Par ordre chronologique, la Lancia Bêta Montecarlo S1 1978 de Chris Clarke fait partie des six exemplaires vendus en Angleterre dans cette magnifique teinte Verde Bêta. « J’aime ce modèle depuis que j’ai 18 ans, indique Chris. J’ai eu deux coupés Bêta, deux spiders et trois Montecarlo, dont celle-ci depuis 11 ans. Elle n’a parcouru que 39000 km et je ne suis que le troisième propriétaire. Elle était en excellent état quand je l’ai achetée, mais comme je voulais qu’elle soit vraiment impeccable, j’ai déposé la mécanique pour repeindre la baie moteur. »
Pour quelle raison a-t-il été attiré par ce modèle? « C’est la forme et le style qui me plaisent. La première que j’ai eue était une Bêta Spider, et elle a été à l’origine de mon admiration pour la marque, surtout la famille Bêta. Les Montecarlo sont superbes à conduire, malgré une mauvaise réputation du côté des freins, surtout la S1. Mais j’ai débranché le servo et amélioré les choses avec des freins Tarox. Si vous anticipez suffisamment, tout se passe bien. »
Entre février 1978 et mars 1980, la production de la Bêta Montecarlo a pris un congé sabbatique pour régler la tendance des freins à se bloquer à cause d’une assistance excessive. En plus de leur trait d’union, les Montecarlo d’après 1980 ont perdu le nom “Bêta”, les jantes Pininfarina 13 pouces, le servofrein et la barre antiroulis avant, mais elles ont récupéré des jantes style Bêta 14 pouces, des étriers de freins plus grands, des rétroviseurs sur le déflecteur et la calandre de la gamme Lancia, en plus d’améliorations mécaniques.

“Comme le laissent deviner ses dimensions
plus réduites, la Fiat est plus légère et agile
que la Lancia”
Seules les toutes premières versions sont dotées d’arcs-boutants arrière pleins, si bien que l’intérieur de cette Montecarlo est lumineux, en plus d’être spacieux. Le thème “tweed et flocons d’avoine” de la sellerie et des tapis est un peu envahissant mais le tableau de bord, avec son badge Pininfarina et ses compteurs Jaeger, est bien lisible. Les petites pédales sont décalées mais les pieds ne sont pas trop serrés et la position de conduite est confortable, avec beaucoup de place pour les jambes. L’intérieur de la Bertone X1/9 VS 1985 de Steve Farrall est tout sauf discret et reposant, à cause de son cuir rouge, de ses garnitures de portes fantaisistes et de son compte-tours Veglia tournant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. L’espace est ici plus limité (habitacle moins large, pédalier plus étriqué, moins de place pour les jambes), si bien que Steve profite de toutes les occasions de démonter le toit, qui se range facilement dans le coffre.
« C’est ma troisième X1/9, indique-t-il. J’adore le style et la conception astucieuse. Nous sommes allés en Écosse en vacances et avons parcouru 2500 km. Le volume pour les bagages et le confort sont étonnants. C’est une voiture très vivante à conduire, pas très rapide mais géniale en virage. Cette Versione Speciale affiche 56000 km. Elle a été achetée neuve en 1985 par une dame qui, tombée malade en 2000, l’a passée à sa fille, qui ne l’utilisait pratiquement pas mais se rendait quand il fallait au contrôle technique. Quand je l’ai achetée, elle affichait 38 600 km et, à part des jantes différentes, un filtre K & N, un allumage électronique et une pompe à essence électrique, elle est très proche de l’origine. Quelques panneaux de carrosserie ont été remplacés (bas de caisse, portes), mais la plateforme est impeccable. »

En comparant ces deux belles-sœurs à moteur central, l’on peut s’attendre à des similitudes. Et il y en a. Toutes deux comportent un compte-tours jusqu’à 8 000 tr/mn avec zone rouge à 6 000 tours, dans un réceptacle rectangulaire. Elles présentent un volant épais qui contrôle une direction magnifiquement bien démultipliée et équilibrée, avec un train avant alerte et facile à placer. De même, le roulis est bien contrôlé. Les changements de rapports sont précis et rapides, dans une grille bien définie.
A 4000 tr/mn, le moteur Lancia trouve toute sa vigueur mais, malheureusement, une faiblesse mécanique (qui se révèlera une connexion de bobine défaillante) va nous empêcher d’exploiter toute la plage de régime, ce qui est regrettable car ces moteurs adorent le faire. Les changements de rapports sont sur la Lancia un peu plus rapides, avec une grille légèrement plus courte et un mouvement plus ferme. L’absence d’assistance de frein impose une réelle anticipation, d’autant plus que la course de la pédale est longue, pour une action mordante. Mais à part les freins, la Montecarlo n’est pas seulement une voiture agréable, c’est une rareté : une des premières sportives à moteur central, qui ne vous précipitera pas hors de la chaussée avec une méchante lueur dans les phares.

Comme le laissent deviner ses dimensions plus réduites, la Fiat est plus légère et agile, qualités soulignées par sa direction, qui égale celle de la Lancia en matière de sensations, mais en étant plus directe. Le moteur simple arbre monte en régime plus librement dans un joyeux vrombissement, mais vous avez le sentiment que la X1/9 n’est pas aussi communicative ni indulgente que la Lancia quand son faible moment d’inertie décide de sortir de la trajectoire. Sur la Fiat toutefois, les freins et le confort sont meilleurs, ce qui vous permet de vous lancer dans les sinuosités de la route sans que les distances de freinage ne rendent l’expérience inquiétante.
Difficile ici de désigner une victorieuse claire. Quelques tracasseries, sur le plan mécanique, géographique et météorologique, nous ont empêchés d’explorer les limites dynamiques de ces automobiles. Oui, la Montecarlo a plus de présence et d’agressivité que la légère X1/9; et avant que soit découverte une potion qui fasse maigrir, ce n’est que le manque d’espace intérieur qui m’empêchera de choisir la Fiat, petite voiture pleine d’entrain.
Mais au bout du compte, comparer ces deux Italiennes à la personnalité très différente, bien que complémentaire, est presque comme opposer une pelle et une pioche parce qu’elles commencent par la même lettre. La Lancia, GT plus rapide, plus spacieuse et plus accomplie, est la plus adaptée aux longs voyages. Et la Fiat, plus vive, plus concentrée, offre des sensations plus intenses sur les routes qu’elle parcourt.
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