Une longueur d’avance

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© Classic & Sports Car / Tony Baker

La brillante Renault Avantime s’est créée à la naissance une niche de « coupéspace » et constitue aujourd’hui une classique originale. Martin Buckley rend hommage à cette française révolutionnaire en partant à la rencontre de deux ardents supporters.

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Pour ses sympathisants, qui ne cessent de se multiplier, la Renault Avantime est la réponse parfaite à ce vieux dilemme consistant à combiner l’indéfinissable charme d’une ancienne avec l’aspect pratique d’une voiture moderne. L’Avantime présente ces deux qualités en abondance ; vous pouvez l’imaginer selon ce qui vous convient et, bien sûr, l’utiliser comme une classique moderne, originale et pratique (les derniers exemplaires ont été produits il y a 14 ans). Je parie d’ailleurs que les valeurs vont continuer à évoluer, sur un marché où il est encore possible d’acheter un bon exemplaire pour 5 000 €, les meilleures voitures atteignant jusqu’à 20 000 €.

Mais qu’est-ce qu’une Avantime ? En substance, c’est un luxueux coupé sans montant datant du début du nouveau millénaire, spacieux et répondant aux valeurs Renault de « voiture à vivre ». Ce n’est pas une machine de sport et pourtant elle présente des performances et un comportement qui correspondent parfaitement au début du XXIe siècle. Mais elle est beaucoup plus que cela. Elle a réussi à retrouver sur le plan du style l’ambition et le leadership que Renault avait montré des années auparavant, avec la R16 et la première R5. En tant que premier « coupéspace » du monde, l’Avantime 2001 brisait les codes et offrait aux acheteurs quelque chose dont ils ignoraient qu’ils en avaient besoin : une deux-portes de luxe donnant l’impression d’un salon roulant, grâce à un ingénieux toit en verre et l’absence de montant latéral.

C’est une sorte de GT familiale, une “super-Espace” conçue à l’époque pour les utilisateurs aisés qui, amateurs de style, n’avaient plus besoin de la rationalité absolue d’un monospace, mais qui avaient fini par apprécier la position élevée du célébrissime sept places traction avant sur lequel était basée l’Avantime. Tout cela est enveloppé dans une carrosserie élégamment futuriste qui se montre aujourd’hui curieusement imperméable au phénomène de vieillissement. Le prototype a fait sensation au Salon de Paris 1998 et, en 2018, la version de série a toujours l’air d’un concept car (ou d’une évadée d’une clinique de style). La rareté (8557 exemplaires) et une courte carrière de 18 mois ne font qu’entretenir cette curieuse mystique.

L’extraordinaire profil, avec ses longues portes sans montant central, a été
imaginé par Patrick Le Quément, alors directeur du style chez Renault.

L’échec commercial de l’Avantime a plusieurs causes. Le coût de fabrication élevé n’est pas la moindre, non plus que le lancement parallèle de la Vel Satis entièrement conçue par Renault et vers laquelle ont porté tous les efforts de marketing. Le créateur de la voiture, Patrick Le Quément, alors directeur du style chez Renault, reste fier de l’Avantime, certainement heureux que ce choix courageux ait été admiré par ses pairs. D’une certaine façon, c’était une pionnière annonçant les actuelles BMW X6 et consorts, mais lancée dix ans avant que les goûts du public soient habitués à de telles idées.

« Sur le plan du style, c’était une voiture très moderne, mais pas du goût de tout le monde », indiquait Le Quément au magazine Car en 2009, juste avant sa retraite. « Elle est arrivée deux ans trop tard et a été lancée au mauvais moment. Et elle n’a pas été conçue pour être produite en très grande quantité. Si nous avions proposé une voiture plus conventionnelle, se serait-elle mieux vendue ? Nous ne le saurons jamais. » Le coût des études s’est élevé à 1,4 milliard de francs, ou 280 millions d’euros ramenés à aujourd’hui.

L’Avantime a été en réalité produite par Matra pour le compte de Renault. Elle a été dotée d’une structure en acier galvanisé issue de l’Espace, avec de l’alliage au-dessus de la ceinture de caisse (d’où l’effet deux-tons), et des panneaux composites au-dessous. Avec son passé de constructeur de missiles, de voitures de sport en fibre de verre et de trois générations d’Espace, Matra était bien placé pour prendre en charge une curiosité comme l’Avantime. Le constructeur de Romorantin ne pouvait toutefois pas deviner que cette voiture allait précipiter l’arrêt de ses activités automobiles. En effet, quand Renault a annoncé que la quatrième génération d’Espace serait entièrement gérée en interne, sans Matra, cela signifiait aussi la condamnation de l’Avantime.

À la fin de février 2003, avec des ventes ne dépassant pas 15 voitures par jour, Matra ordonnait l’arrêt de la production. Craignant pour son image, Renault faisait tout pour se désolidariser de la voiture et retirait toute publicité et modèles de démonstration en Europe.

Personnellement, j’ai aimé ces voitures dès le départ. J’en ai essayé une pour la première fois en 2001 sur le circuit Renault de Valbonne, avec beaucoup de plaisir. Les grandes portes s’ouvrent selon une double cinématique à pantographe facilitant l’accès à bord dans les espaces réduits. Les passagers arrière sont surélevés et surtout le toit est complètement vitré (le plus grand du genre en série à l’époque), avec une fonction Grand Air qui provoque simultanément son ouverture et celle des vitres latérales. Les problèmes liés au mécanisme complexe et à la mise au point du faisceau électrique multiplexé ont entraîné un retard d’un an dans la fabrication. Ainsi, l’Avantime de série (très proche du concept car) a souffert d’un mauvais timing auprès du grand public, qui l’a de toute façon considérée d’un œil méfiant.

Habitacle merveilleusement lumineux.

“Elle offrait ce dont ils ignoraient
qu’ils en avaient besoin :
une Espace deux-portes de luxe”

Elle était tellement nouvelle que, dans un monde ennuyeux de berlines grises et principalement allemandes, elle ne pouvait être que difficile à vendre; d’autant plus que Renault a mis un certain temps à proposer d’autres moteurs que le V6, sous la forme d’un 2 litres turbo essence et d’un 2,2 litres turbo diesel, plus économiques.

La division anglaise de Renault, qui avait prévu la vente de 1500 conduites à droite par an, a rapidement compris la situation. Quelque 247 des 452 voitures commercialisées en Angleterre ont reçu une plaque “Limited Edition” sur la console centrale (vendues avec un certificat et un livre de présentation spéciaux), brouillant élégamment les pistes entre “échec” et “exclusivité”. De ces 452 Avantime, la moitié environ étaient des 2 litres turbo essence à boîte manuelle, badgées “Dynamique”. Les V6 3 litres étaient vendues en finition “Privilège”, avec la plupart du temps boîte automatique cinq rapports, cuir Bridge of Weir, système de navigation, chargeur de CD et rétroviseurs rétractables. Une cinquantaine de V6 manuelles ont été exportées en Angleterre. Plus rare encore, la finition sophistiquée “Exception” présentait une sellerie bleue, rouge ou grise au lieu du beige habituel.

La V6 gris métallisé de Jason Yorke-Edgell est justement une Exception. Il possède aussi une V6 Privilège bleu Iliade apparaissant ici et, même s’il ne l’admet pas volontiers, il fait partie des collectionneurs d’Avantime les plus passionnés d’Angleterre, avec une demi-douzaine d’autres exemplaires à son nom. De son côté, Mark Lumsden se limite aux versions quatre-cylindres turbo, dont il possède deux exemplaires: à plus de 200000 km, son Avantime vert Taïga fonctionne encore parfaitement et il l’utilise quotidiennement. Ne consommant ni eau ni huile, elle n’est pas la voiture fragile que laisse entendre sa réputation.

Environ la moitié des Avantime exportées en Angleterre sont encore utilisées (et 50 connues comme détruites), ce qui représente un taux de survie flatteur. Les pièces peuvent être chères (plus de 2000 euros un pare-brise de 3 litres) et, bien que les éléments partagés avec l’Espace soient assez faciles à trouver, les pièces spécifiques sont plus problématiques. Les feux arrière Valeo, par exemple, ne sont plus fournis par Renault. Note positive, la voiture ne rouille pas (sauf des cloques superficielles et faciles à rectifier sur les rails de toit) et même le changement hors de prix de courroie de distribution sur le V6 peut être effectué hors du réseau officiel pour moitié moins cher. D’ailleurs, Yorke-Edgell a vu des courroies âgées de plus de 15 ans ne montrant aucun signe de détérioration.

Sur le plan électrique, elles peuvent afficher occasionnellement un témoin lumineux d’alerte (comme sur toute voiture de ces 20 dernières années) et je sais par expérience que les boîtes automatiques peuvent poser problème. Ma première Avantime (occasion bon marché mais adorée) a perdu toute transmission dans un embouteillage, alors que ma deuxième refusait de rétrograder à moins de s’arrêter et de redémarrer le moteur.

La forme semble encore futuriste aujourd’hui.

“En filant sur la voie de gauche,
la forme taillée à la serpe provoque
encore l’étonnement”

Indiscutablement, c’est la 3 litres automatique dont la personnalité correspond le mieux à ce que Renault essayait d’accomplir. Autrement dit, un moyen de transport silencieux, luxueux et puissant, pour quatre personnes, sortant de l’ordinaire aussi bien par son aménagement intérieur que sa ligne extérieure. Équipé d’airbags, l’habitacle simple et élégant constitue pour beaucoup la splendeur de la voiture. Ce n’est pas un lugubre intérieur allemand, mais un salon lumineux. Il y a même un compartiment secret au sommet de la planche de bord et, dessous, un tiroir qui, si le loquet est cassé, s’ouvre lorsque la voiture accélère. On trouve toutefois de quoi réparer. Les matériaux sont plaisants et, contrairement à la plupart des voitures haut de gamme du même âge, celle-ci ne vous bombarde pas d’interrupteurs et témoins lumineux, mais se contente d’un écran central digital et de commandes de climatisation (plutôt efficace) dédoublées.

Le V6 est doux et affirmé, avec un couple parfait pour la boîte automatique. Vous pouvez la laisser agir à sa guise ou choisir la fonction manuelle séquentielle, amusante pendant 10 mn mais guère utile ici. Même la version boîte manuelle, plaisante et dotée d’un embrayage léger, ne génère pas de grande excitation. À cause du poids sur l’avant, la V6 a tendance à virer large si elle est un peu poussée et, bien que le contrôle de stabilité, l’ABS et la répartition de freinage maintiennent la voiture en ligne, la version 3 litres n’incite pas à la conduite sportive. En fait, le comportement manque de finesse, avec un centre de gravité trop haut, et il est facilement trahi par le châssis Espace, même si la suspension était annoncée comme 30 % plus ferme.

La 2 litres turbo est plus légère, présente une meilleure direction et n’est pas vraiment moins rapide. En fait, si vous êtes prêt à vous passer du couple, de la sonorité noble et de l’onctuosité du moteur V6 24 soupapes, c’est sans doute le meilleur choix. Avec 165 ch, il est largement assez vif (même pour entraîner les 1625 kg de la machine), et consomme 9 l/100 km au lieu des plus de 13 l de sa grande sœur. En voyage, toutes les versions sont capables de maintenir des heures durant plus de 160 km/h sur autoroute allemande.

En filant sur la voie de gauche, la forme taillée à la serpe, avec ses yeux de chat, provoque l’étonnement des autres automobilistes. Et vous comprenez que l’Avantime s’assimile plus à une expérience communautaire qu’au plaisir du seul conducteur. Elle donne envie de profiter du voyage plutôt que d’arriver au plus vite à destination. D’une certaine façon, vous avez le souci de ne pas perturber vos passagers avec des virages pris à vive allure, alors qu’ils ne souhaitent que se prélasser dans les sièges hauts, regardant défiler le paysage à travers les immenses baies vitrées ou choisissant un CD avec leur propre télécommande.

Appuyez sur le bouton Grand Air et vous ne pouvez être qu’impressionné par la façon dont les vitres latérales s’escamotent complètement, et dont un mètre carré de verre anti-chaleur, antireflet et incassable coulisse vers l’arrière, tout cela selon une chorégraphie parfaitement orchestrée. L’Avantime prend alors une autre dimension et affiche la nature d’un grand cabriolet quatre places. Si, à ce moment-là, vous n’êtes pas prêt à reconnaître à quel point cette voiture était audacieuse et inventive, alors vous ne comprendrez sans doute jamais cette grosse Renault. Elle a toujours divisé les opinions et continue à le faire, laissant certains complètement indifférents. Pour chaque défenseur de l’Avantime, il existe trois ou quatre personnes qui resteront totalement hermétiques à l’idée d’un “coupéspace” de luxe, presque comme s’il s’agissait d’une forme de transgression automobile.

Un de mes amis, que j’ai emmené en balade dans une des miennes il y a quelques années, est persuadé que toute l’aventure Avantime était une sorte de conspiration de gauchistes amateurs de fromage. Il est certainement juste d’affirmer que cette voiture ne pouvait être que française, et il n’est pas surprenant qu’elle soit assez populaire auprès des propriétaires de Citroën DS.

Pour Renault, la blessure causée par les pertes de l’Avantime est aujourd’hui cicatrisée et elle est maintenant acceptée dans le cercle des modèles classiques. Comme tant d’autres machines intéressantes, elle s’est révélée une bien meilleure voiture ancienne qu’elle n’était une automobile neuve. En tant que représentante d’une marque qui n’est pas exactement submergée par un passé de voitures bizarres, je pense qu’elle présente un bon investissement à long terme. Mais c’est peut-être ce qui était prévu dès le début.

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