
Après avoir été utilisée pendant plusieurs années, cette Daimler SP250 a été remisée au garage où elle est restée près de 30 ans. Ross Alkureishi raconte l’histoire de sa résurrection.
Forme caractéristique ? Oui. Chromes abondants ? Oui. Jantes à rayons ? Oui. Nous pouvons donc affirmer que cette Daimler SP250 de 1963 correspond à ce que la majorité considère comme une classique typique. Mais dans les années 1970 elle n’est guère plus que la voiture de tous les jours de Nick James.
« J’avais 20 ans quand le modèle est sorti, » rappelle-t-il. « Je me souviens avoir pensé, « Ouah, un cabriolet à moteur V8″, mais je n’avais pas les moyens de me l’offrir. » Neuf ans plus tard, la Daimler ayant atteint le marché de l’occasion, James peut enfin transformer son rêve en réalité, avec un exemplaire bleu indigo : « Mon ami Martin Gibson l’avait à vendre et je l’ai échangée contre une Vauxhall Victor FD presque neuve. Mon épouse travaillait chez Vauxhall et avait pu avoir une bonne remise sur la Victor, mais pour être honnête ce n’était pas une très bonne voiture. »
James se souvient de Gibson comme « un conducteur pressé » qui n’hésite pas à pousser les voitures pour voir ce qu’elles ont dans le ventre et, ce faisant avec la Victor, il casse la courroie de distribution : « C’était une sorte de justice car, à mon insu (et sans doute au sien aussi), la SP250 avait dû subir un très sérieux accident. Elle avait été bien réparée sur le plan esthétique, mais elle n’a jamais marché correctement, avec une tendance à louvoyer et à tirer d’un côté. N’ayant aucune d’expérience, j’ai cru que c’était normal. »
Avec un nuage de fumée accompagnant la voiture (et une pression d’huile de 0,7 kg à froid, pire à chaud), il comprend que la mécanique a besoin de travaux. Il fait refaire moteur et boîte, et accompagne le tout d’une belle peinture noir Rolls-Royce. « Elle m’a servi de voiture de tous les jours pendant les 10 années suivantes, indique James. Je l’utilisais sur mon trajet de 110 km pour me rendre au travail et nous sommes allés plusieurs fois en famille à l’étranger pour les vacances. J’avais les deux filles à l’arrière, mon épouse à côté ainsi que nos deux chiens ; les passagers des autocars nous saluaient au passage. C’était vraiment une autre époque. »

Le résultat est magnifique, mais la base était plus mauvaise que prévu !
“Elle avait été vissée et rivetée avec du métal,
des plaques, du mastic…
En 1983, James heurte un talus et endommage légèrement la voiture, si bien qu’elle est remisée dans le but d’une restauration. Elle est démontée, mais le quotidien reprend ses droits. « À part des travaux en 1995 quand le châssis a été réparé (la suspension était tordue), la Daimler a passé 28 ans au fond de mon garage, inondé deux fois ! » L’intérêt renaît en 2011, après une rencontre avec Wilf Stephens, qui utilise sa SP250 quotidiennement. James s’attaque à nettoyer l’accumulation de 25 ans de débris : « Le moteur avait triste mine et, même s’il n’était pas bloqué, il réclamait des soins sérieux, de même que la carrosserie. Le châssis était sain, mais nécessitait d’être sablé et repeint. »
La dépose des culasses révèle de la corrosion autour des passages d’eau, problème typique des moteurs en fonte avec culasses alliage. Bien qu’il ait refait le V8 lui-même dans les années 1970, il le confie cette fois à Russ Carpenter pour une remise en état. La boîte est envoyée chez Overdrive Repair Services, à Sheffield, pour restauration et montage d’un overdrive type J, le châssis et les suspensions prenant le chemin de Mikris Finishers, à Stroud et le pont arrière de Central Axle Services, à Birmingham.
En 2012, James confie la carrosserie au spécialiste Robert Grinter, dans l’Essex : « J’espérais faire les travaux moi-même, mais reprendre cette carrosserie mal réparée était trop difficile pour moi. Même Robert a cru dans un premier temps qu’il n’y parviendrait pas. Il a accepté d’essayer, et s’est lancé dans une chirurgie de fond. » La voiture est en mauvais état, avec des traces d’accident bien dissimulées mais mal réparées : « Tout l’avant de la voiture avait été vissé et riveté avec du métal, des plaques, du mastic et Dieu sait quoi encore. Nous l’avons complètement reconstruite. »
L’aspect le plus difficile est de réussir à tout aligner correctement. Les travaux doivent être effectués avec la carrosserie montée sur le châssis pour que les portes ferment correctement, si bien que James s’attache alors à assembler le châssis restauré avec la transmission et la suspension, puis le pose sur des jantes provisoires de Triumph TR6 avant de l’envoyer à l’atelier de Grinter.
« La carrosserie a été démontée en cinq sections différentes” précise-t-il. “Nous les avons initialement vissées ensemble en utilisant des petites bandes de métal qui nous permettaient de mesurer et de réaligner les éléments. Lentement, l’ensemble a pris forme et nous avons refait la fibre de verre. Nous avons dû aussi poser des renforts là où elle avait été découpée à l’avant. » Ils connaissent aussi un curieux phénomène de suintements, les inondations du garage ayant provoqué un problème de moisissure de la carrosserie. « Il a fallu très longtemps pour que la coque sèche. Nous avions des lampes à infrarouges, et nous l’exposions au soleil ; mais de nouvelles tâches humides ne cessaient d’apparaître. Finalement, au bout de deux mois, le phénomène s’est arrêté et nous avons pu commencer à la traiter. Compte tenu de l’état de départ, le résultat a été très satisfaisant. »
À ce stade, James accélère les travaux. Les chromes sont envoyés chez Derby Plating, les instruments chez Adrian Sidwell, le radiateur chez Arrow Radiators, la dynamo, le démarreur et le régulateur chez Broadway Electrical Services et les étriers de freins chez Past Parts. Comme il le rappelle : « J’ai acheté un faisceau électrique chez Autosparks, des ressorts arrière chez Owen Springs, et de nombreux autres éléments : allumage électronique, pièces pour conversion de la direction en crémaillère, phares, jantes fils et moyeux, batterie, pneus Michelin, pompe à essence, échappement inox et autres. Et une énorme quantité de visserie UNF. Rien n’a été remonté sans avoir été refait ou remplacé. »

Avec les composants en sa possession (dont un rare réservoir de lave-glace avec sa pompe, trouvé sur eBay), James se lance dans la réfection d’accessoires secondaires. Par exemple, la commande de ventilateur de chauffage (de mauvaise conception) qu’il modifie avec un micro-interrupteur moderne et un relai. « J’ai aussi refait le cendrier et j’ai même démonté le rétroviseur intérieur pour le repeindre. » Enfin, en mars 2013, le châssis et la carrosserie reviennent, celle-ci resplendissante dans la teinte d’origine bleu indigo Jaguar: « J’ai installé une crémaillère de Spitfire pour le confort et la sécurité. Le boîtier de direction est une des faiblesses de la voiture, et il se rapproche du sol quand la voiture se tasse au fil des ans. Le risque est alors que, s’il heurte la chaussée, la colonne de direction vous rentre dans la poitrine. La conversion nécessite aussi de poser un ventilateur électrique. »
Le V8 revient lui aussi et James l’installe avec l’aide d’un voisin, avant de poser les accessoires mécaniques, puis les enjoliveurs, et un nouveau réservoir en aluminium : « La voiture commençait à prendre vraiment forme. »
Il reste encore deux opérations laborieuses : poser l’échappement (“Il traverse le châssis, avec très peu de jeu”) et le pare-brise dans son entourage chromé, tâche “impossible” confiée à Grinter. James installe le nouveau faisceau électrique, un embrayage neuf et remplace les maîtres-cylindres de freins et d’embrayage. Il est alors temps de mettre en route le V8 : « Russ nous a assuré que ses moteurs démarraient au quart de tour, et c’est bien ce qu’il s’est passé. » James en profite pour remplacer les jantes acier abîmées par des modèles à rayons: « C’est ce qui attire l’œil. J’ai fait la modification correctement, avec des moyeux rainurés et non pas les adaptateurs boulonnés qui peuvent présenter de dangereuses défaillances. »

C’est le moment de s’intéresser à l’habitacle. Sur le modèle du précédent, un tableau de bord est découpé dans du contreplaqué. Les sièges sont déshabillés et les armatures refaites, ainsi que toute la sellerie, chez un spécialiste. L’ensemble est complété par une capote en mohair et un couvre-tonneau neufs. Les travaux sont terminés en septembre 2014. « Le résultat était vraiment impressionnant, reconnaît James. Le 23 septembre 2014, j’ai emmené la voiture au contrôle technique, pour la première fois depuis 30 ans, et elle est passée avec les honneurs! »
Le propriétaire reste réaliste en évoquant le modèle proprement dit : « L’ajustement des panneaux de carrosserie n’est pas parfait, mais il n’existe qu’un ou deux exemplaires sur lesquelles l’usine a soit pris plus de temps, soit obtenu un bon résultat par hasard. » C’est peut-être le cas, mais cette SP250 est sans doute une des plus belles qui soient; performance d’autant plus admirable compte tenu de la décrépitude initiale.
Il reste maintenant la meilleure part : prendre le volant. La conversion en crémaillère donne à la direction une précision qui manque à l’originale et qui vous permet de placer la Daimler avec confiance. Vous êtes accompagné par le chant constant de la boîte de vitesses et du pont arrière, mais le V8 conçu par Edward Turner (créateur du bicylindre de la Triumph Bonneville) le couvre de son ronflement généreux. Sans assistance pour les freins à disques, vous devez utiliser le double pompage célèbre sur la SP250, le premier mouvement n’ayant guère d’effet, ce qui est assez surprenant. L’élément qui limite le rythme quand vous souhaitez pousser un peu la voiture est la boîte issue des Triumph TR, conçue pour un couple beaucoup plus modeste. L’overdrive permet de réduire le régime moteur, sachant que James a modifié le système pour qu’il se désengage lors d’un changement de rapport, pour ne pas se retrouver par mégarde en sous-régime.
La SP250 a toujours eu une forme un peu bizarre, mais elle attire pourtant beaucoup d’attention. « Je ne suis pas un homme de concours, affirme James, mais je suis allé au meeting “Wheel Nuts”, à Stroud, et suis reparti avec le prix de la plus belle voiture de sport. » La voiture a aussi fait ressortir des souvenirs localement, quelqu’un se rappelant avoir vu une SP250 passer régulièrement devant son école, si bien qu’aujourd’hui il en possède une.

Mais James s’est aussi fait une frayeur: « J’étais un jour sorti avec la voiture, et les freins ont lâché brusquement. En arrivant à un carrefour, j’ai évité une autre voiture, je ne sais pas comment. En fait, le pont arrière comporte des lanières pour lui éviter de heurter la caisse quand la suspension se comprime sur une bosse prononcée. Je les trouvais un peu longues, si bien que je les ai coupées et raccordées en boulonnant une autre lanière. Malheureusement, un des boulons était trop près de la conduite de freins et l’a coupée. J’ai eu vraiment peur ; et je ne suis donc pas aussi astucieux que je pensais… »
Pour lui, le plaisir a été surtout de la restaurer. Mais il reste clairvoyant pour ce qui concerne la conduite : « Les choses ont changé. C’est une voiture ancienne et je ne suis plus tout jeune non plus, si bien que la combinaison des deux n’est plus aussi bonne qu’autrefois. Je ne me lance plus aussi facilement sur la route, je suis trop habitué aux voitures modernes et leur sécurité, comme ma Mustang neuve. Cela dit, la Daimler fait maintenant tellement partie de la famille qu’il n’est pas question de la vendre. J’ai tiré de cette restauration une énorme satisfaction. » À tel point qu’il envisage maintenant de remettre en état sa MG TC de 1948, voiture qu’il n’a pas utilisée depuis 1963 !
[…]