« Elle laissait sur place les Countach et Testarossa »

Lister MkIII

© Classic & Sports Car / Tony Baker

Un nom célèbre est réapparu dans les années 1980, répondant à ceux qui ne pouvaient pas se contenter d’une Jaguar V12 de 291 ch. Alastair Clements affronte l’impressionnante Lister MkIII à deux compresseurs.

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C’est vrai, l’entreprise de Tom Walkinshaw a proposé une XJ-S spéciale, et a même mis au point pour la marque la JaguarSport XJR-S, mais sa version la plus puissante n’affichait que 6 litres et 333 ch. Une bagatelle à côté des spécifications de cette voiture, que William Lyons lui-même n’aurait jamais pu imaginer lors du lancement de la XJ-S en septembre 1975. Cela dit, dites « Lister » et vous verrez peut-être les visages s’éclairer, mais pour parler des barquettes « Knobbly » des années 1950 et pas d’une super-GT ultra musclée des années 1980.

Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un de ces éphémères renouveaux de marques, ni de l’utilisation usurpée du nom pour l’attribuer à un concept qui n’a rien à voir avec l’originale. Car l’idée d’une XJ-S capable de faire peur aux utilisateurs d’Aston et Ferrari provient bien de Brian Lister, et la voiture qui a inspiré le projet était la sienne, modifiée pour tirer le maximum du superbe V12. Cela a suffisamment impressionné l’homme d’affaires Iain Exeter pour qu’il fasse revivre la marque avec l’accord de Lister, le motoriste Laurence Pearce répondant au défi.

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La propre machine de compétition d’Exeter, fabriquée par Pearce au sein de WP Automotive, a pu servir de banc d’essai sur des milliers de kilomètres (en plus de la version route de Simon Taylor, voir encadré), avant le lancement de la Lister MkIII à Donington Park, le 30 août 1986. La Lister n’était pas la première à reprendre la carrosserie de la XJ-S, mais sa forme bodybuildée n’était que la cerise sur un gâteau dont l’ingrédient principal était le moteur V12. Pearce avait écarté les culasses « High Efficiency » de Michael May au profit des anciennes versions, aux conduits soigneusement polis et agrandis, équipées de soupapes plus grosses et d’arbres à cames plus sportifs. Le moteur recevait aussi des pistons forgés, un volant-moteur allégé, une injection modifiée avec deux injecteurs de plus par banc, des collecteurs tubulaires et un nouvel échappement. Résultat ? Environ 440 ch sous forme 5,3 litres.

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Mais ce n’était pas suffisant. Pearce continuait à triturer le félin de Coventry et, à la fin des années 1980, WP Automotive présentait la MkIII 7 litres, dotée d’un vilebrequin spécial, d’un alésage et d’une course augmentés (94×84 au lieu de 90×70 mm), ce qui donnait 6 996 cm3, 496 ch et 69 mkg de couple. Alors la prochaine fois que vous envisagez un concours d’accélération, oubliez Maranello, Newport Pagnell ou Sant’Agata et pensez à Mole Business Park, Leatherhead, là où se trouvait WP Automotive.

Le monstre vert foncé de ces pages, châssis Lister 069LJ, a été livré le 5 février 1990 et il est équipé du moteur 7 litres. Mais les archives d’usine indiquent que la voiture est revenue l’année suivante pour une conversion aux spécifications « Le Mans ». Cela signifiait deux compresseurs radiaux (donnant une pression de 10 psi au régime maxi) et 604 ch à 6 000 tr/mn. Il y avait aussi un agressif spoiler arrière, une boîte BMW 6-rapports au lieu de la Getrag 5-rapports de la 7 litres « standard », en plus d’autres options : freins énormes, différentiel autobloquant etc. En plus de la XJ-S Le Mans, le V12 de 7 litre allait équiper la supercar Lister Storm, un coupé 2+2 capable de 320 km/h et qui a brillé en championnat FIA GT, en particulier dans sa livrée du club de foot Newcastle United.

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« Nous ne reprenons que le bloc Jaguar de base, les culasses, et quelques pièces mineures, » indiquait Mike McCarthy dans une interview pour Autocar, en 1993. « Nous fabriquons tout le reste. Nous avons notre propre système d’alimentation, nous polissons les culasses, modifions les arbres à cames et posons des ressorts de soupapes plus durs. »

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Nous reviendrons plus tard sur les résultats de ces sorcelleries techniques, mais avant de prendre le volant vous ne pouvez vous empêcher de faire plusieurs fois le tour de la voiture pour en assimiler le caractère outrancier. C’est un mélange de caricature et d’excès, qui affiche tous les clichés des années 1980 : passages de roues considérablement élargis, jupes latérales, pneus taille basse, enjoliveurs noir mat et profusion de prises d’air, et pourtant il s’en dégage une sorte de séduction brutale, au moins à l’avant. L’arrière est moins réussi, avec une maladroite intégration du spoiler en relevant les feux et en ajoutant dessous des feux de brouillard bon marché, ce qui détruit le fragile équilibre esthétique d’origine. Regardez plus bas et vous découvrez un autre motif d’étonnement, les roues arrière. A l’avant elles sont déjà assez massives, mais celles-ci affichent 13 pouces de large et sont chaussées de Pirelli P Zero 335/35 ZR17.

Au moins, ils permettent de penser qu’une partie de cette puissance sera transmise au tarmac. Ouvrez la longue porte qui, comme sur une Type E, déborde sur l’aile avant et vous retrouvez un habitacle de XJ-S, tout en vous demandant comment une voiture aussi longue peut sembler aussi exiguë. La sellerie est refaite en deux tons de cuir (beige pour les sièges, vert pour le sommet de tableau de bord, comme les moquettes). L’espace pour les pieds est mesuré, en particulier avec une pédale d’embrayage ; la plupart des versions standard étaient automatiques. Au moins les superbes Recaro permettent-ils de gagner un peu de garde au toit, les genoux étant relativement au large grâce au volant sport qui remplace celui d’origine, plus grand et massif.

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Quand vous démarrez, le grondement sourd laisse deviner que le souple V12 tout alliage n’est plus vraiment le même. Vous vous attendez à ce que la voiture soit lourde à manœuvrer et exige des muscles de déménageur, mais il n’en est rien. L’embrayage est assez léger, la boîte fluide et les freins fantastiques : ils sont ventilés, déplacés vers l’extérieur à l’arrière, et dotés de gros étriers AP Racing.

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Et quid de la puissance ? Ce n’est pas un moteur explosif, il n’y a pas de soudain coup de pied aux fesses à un moment donné, mais une poussée fantastique sur toute la gamme de régime. Passé le pic de puissance à 6 000 tr/mn, l’énergie décline un peu, mais il n’est même pas nécessaire d’aller aussi loin, à moins d’être sur une piste d’accélération. Essayez un départ arrêté brutal et vous ne réussirez qu’à faire fumer les pneus : ils sont certes larges, mais rien ne peut résister à plus de 600 ch de fureur mécanique.

Quand vous trouverez la motricité, une Countach ou une Testarossa ne verront même pas de quel côté la Lister est partie, et elle atteindra 160 km/h en moins de 10 s, avant même qu’une F40 puisse la rattraper ; pour une voiture d’1,8 t, ce n’est pas si mal. A ces vitesses (3 100 tr/mn à 160 km/h), les qualités du modèle d’origine transparaissent : stabilité impeccable, confort et raffinement, malgré une certaine fermeté des gros pneus enclins à suivre les fissures du revêtement. Mais sur une route de campagne, il est presque impossible de croire que cette voiture a commencé sa vie sous la forme d’une XJ-S. Elle est stable et incroyablement agile pour sa taille, attaquant les virages avec la vivacité d’une Lotus Excel, avalant les bosses mieux qu’une Porsche 928 et accélérant en sortie de courbe avec la puissance d’une Aston Vantage V600.

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Nous savons d’où vient la puissance, mais la réactivité façon Lotus … vraiment ? Pour comprendre, il faut se pencher sur les caractéristiques. La crémaillère assistée a été recalibrée et montée de façon plus rigide : avec le volant plus petit, cela transforme la direction. Elle est précise, incisive et ferme, avec plus de sensations que vous pouvez en espérer compte tenu de ses origines. Côté suspension, nous avons des bagues plus rigides, des ressorts plus courts, des amortisseurs Koni réglables et un berceau arrière modifié avec des fixations de triangles plus basses.

En ville elle est un peu dure, les vibrations du rétroviseur rappelant qu’elle est née sous l’ère British Leyland, mais si vous accélérez sur une route bosselée supposée perturber son comportement, la MkIII se montre souple, imperturbable et magnifiquement équilibrée. Le sous-virage qui affecte même la XJR-S a disparu ; sur la route, l’avant est presque impossible à prendre en défaut. Mais il faut faire attention en accélérant dans une courbe humide. Dans les virages pris en seconde elle vous gratifiera d’un mouvement du train arrière désagréable mais contrôlable mais, à vitesse plus élevée, les essais d’époque indiquaient que la perte d’adhérence était difficile à prédire et à rattraper.

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Quel est le prix aujourd’hui d’une telle machine ? Autour de 40-45 000 €. Cela semble beaucoup pour une XJ-S modifiée, mais elle est bien plus que cela : elle tiendra tête à une F40 en accélération et distancera n’importe quelle GT sur une route de campagne. Une F40 valant à peu près 30 fois ce prix, la Lister MkIII paraît soudain une sacré bonne affaire.

Lister MkIII :
Période/Production 1986-1994 / 49 ex env
Construction Monocoque acier
Moteur V12 alliage, 6 966 cm3, 1 ACT, par banc, 2 compresseurs, injection électronique
Puissance maxi 604 ch à 6 000 tr/mn,
Couple maxi 84 mkg à 4 000 tr/mn
Transmission manuelle Getrag 5 rapports ou BMW 6 rapports, propulsion, pont autobloquant
Suspension ind., av doubles triangles, ressorts hélicoïdaux ; ar. triangles inférieurs, jambes de force, doubles ressorts hélicoïdaux ; am. Koni à gaz, barre antiroulis av/ar
Direction Adwest à crémaillère, assistance
Freins disques ventilés, étriers AP Racing av 6 pistons av, ar 4 pistons, servo et ABS
Jantes et pneus alliage 17 pouces, 245/40 ZR17 (av), 335/35 ZR17 (ar)
Poids 1 800 kg
0-100 km/h 4 s (est.)
Vitesse maxi 320 km/h (est.)
Prix neuve 72 610 £(coût de la conversion, plus TVA)

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