La plus longue des Jaguar

Jaguar MkX

© Classic & Sports Car / Tony Baker

La type E n’était pas le seul modèle dévoilé par Jaguar en 1961. Martin Buckley rappelle que la marque de Coventry a lancé la même année la MkX, qu’il considère comme la meilleure grosse berline de la marque.

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Si comme moi vous êtes passionné de grosses berlines, alors vous ne trouverez guère mieux qu’une Jaguar MkX. Elle fait partie de mes Jaguar préférées, parce qu’elle projette sur les années 1960 un éclairage beaucoup plus intéressant que les vieux clichés qui accompagnent la Mk2 et la Type E.

Une MkX, c’est une Angleterre moderne qui voyage sur autoroute, qui efface les années 1950 poussiéreuses avec une berline à direction assistée capable de vous emmener à 160 km/h à un déjeuner d’affaires ou de vous ramener chez vous en silence à 3 heures du matin après une soirée entre amis. Cette voiture présentait un mélange de technologie britannique et de proportions américaines. Vous disposiez d’un vaste et confortable salon roulant pour six personnes, propulsé jusqu’à 195 km/h par un moteur issu de la compétition, reposant sur une suspension soigneusement étudiée, et qui n’avait pas d’équivalent dans le domaine des limousines pour capitaine d’industrie.

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Non pas qu’il ait été nécessaire d’être un tel capitaine pour en avoir une. A 38 500 francs en 1961 (la moitié d’une Rolls-Royce Silver Cloud et moins qu’une Mercedes 300 SE), elle constituait une extravagance à la portée du portefeuille de l’entrepreneur astucieux ou du politicien habile. Tout comme la Type E avait symbolisé une nouvelle catégorie de prestige abordable en matière de voiture de sport, cette imposante et voluptueuse automobile reprenait le style défini par William Lyons pour ses berlines depuis les années 1930 et le concentrait pour les années 1960 dans cette machine de luxe.

Cela dit, ses dimensions un tantinet extravagantes (pour les standards européens) ont probablement constitué une des rares erreurs d’évaluation de Lyons, dont la carrière est jalonnée de succès commerciaux. En fait, avec son allure impressionnante, la MkX était trop grosse pour les goûts britanniques. Mesurant 1,93 m, elle était plus large qu’une Silver Cloud et paraissait hors de proportion quand il s’agissait de circuler dans une rue européenne, de se glisser dans une place de parking ou de passer une porte cochère. Même pour la clientèle américaine qui appréciait les coupés ou berlines Jaguar et leur personnalité sportive, cette voiture se retrouvait en concurrence directe avec de grosses américaines moins chères et probablement plus fiables.

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Elle était cependant bien meilleure sur la route que n’importe quelle américaine et, même si vous ne souhaitiez pas prendre le volant, elle était extrêmement confortable à l’arrière, avec la place d’allonger les jambes et des tablettes sur les dossiers avant avec miroir intégré. C’était le genre de Jaguar qui pouvait être confiée à un chauffeur et, d’ailleurs, 45 exemplaires ont été produits avec séparation pour bien profiter de l’habitacle le plus spacieux jamais proposé sur une voiture de la marque. Mais la MkX était aussi très agréable à conduire et offrait des équipements comme une direction assistée qui rendait cette voiture beaucoup plus manœuvrable qu’on aurait pu le craindre.

Elle est encore impressionnante aujourd’hui. Longue, basse et large, elle est aussi fascinante grandeur nature que sur les dessins « améliorés » des catalogues curieusement démodés du modèle. Fabriquée à Swindon par Pressed Steel, la carrosserie comporte de larges ouvertures de portes, le premier capot articulé à l’avant pour une berline Jaguar, et deux réservoirs d’essence interconnectés placés dans les ailes arrière, de part et d’autre d’un coffre immense. La coque d’une MkX est tellement rigide qu’elle accepte assez facilement qu’on lui coupe le toit (des transformations ont existé). Le compartiment moteur était assez grand pour que Jaguar y essaye son premier V12 quatre arbres et le V8 Daimler 4,5 litres, et le six-cylindres XK y était donc parfaitement à l’aise.

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Ouvrez l’énorme porte, enjambez les seuils de 18 cm qui donnent à la voiture sa rigidité, prenez position sur le large siège à dossier plat, en face du tableau de bord plaqué bois et du grand volant à fine jante, et abaissez l’accoudoir : vous vous sentirez bien, en terrain familier. Tournez la clé de contact placée à droite, puis appuyez sur le bouton de démarreur. Le « AED » (un dispositif électrique qui enrichit automatiquement le mélange) fait le reste et le moteur prend vie.

Jaguar avait envisagé de ne produire la MkX qu’en version automatique, mais avait constaté in extremis qu’il existait encore des partisans de la boîte manuelle, même sur une voiture aussi luxueuse. La boîte Borg-Warner automatique des MkX 4,2 litres fait toutefois partie de la personnalité de la voiture et permet de propulser cette considérable machine en douceur, avec un ronflement discret sortant des deux échappements. Le levier est au volant, ce qui n’est pas surprenant pour une voiture de cette époque et vous oubliez la boîte pour vous contenter de guider la MkX dans la direction souhaitée.

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Vous pouvez vous isoler du monde derrière les vitres électriques (commandées par d’élégants interrupteurs sur la console centrale), profiter de la vue sur le large capot, et jouir de la sensation d’espace procurée par le vaste habitacle. D’autres voitures anglaises ou européennes présentent une meilleure finition dans le détail et la qualité des matériaux mais, dans cet état de préservation, la MkX offre une ambiance extrêmement accueillante, sans égale même sur des modèles qui coûtaient bien plus cher. Cet exemplaire comporte un rare système d’air conditionné Delanair, qui coûtait 275 £ de plus. Le condensateur est installé dans le coffre mais le compresseur est entraîné par le moteur.

Une fois lancée, la MkX se montre puissante et silencieuse ; elle affiche un raffinement et un comportement supérieurs à son niveau de prix d’époque. Le moteur XK est accompagné d’un ronflement vigoureux mais assez distant, contrôlé par un accélérateur magnifiquement progressif, alors que vous imaginez les instruments Smiths éclairés la nuit par une touche de lumière verte.

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Avec trois carburateurs SU et une culasse « straight-port », le moteur XK était identique à celui de la Type E et procurait à la MkX des accélérations que ne surpassaient que quelques voitures américaines. La version 4,2 litres, amélioration très notable par rapport à la 3,8 litres par de nombreux détails, bénéficiait d’une plus grande souplesse de fonctionnement. Le couple plus généreux permettait à la voiture d’être plus vivante à partir de 2 000 tr/mn, et elle s’associait idéalement avec la boîte Borg-Warner Model 8.

En fait, les MkX 4,2 litres automatiques accéléraient plus vigoureusement que les manuelles, mais les secondes bénéficiaient d’une vitesse de pointe plus élevée et d’une consommation plus basse. Encore aujourd’hui, cette voiture s’intègre facilement dans la circulation, avec une grande réserve de puissance. D’ailleurs, elle le fait avec une autorité qui incite les conducteurs de voiture moderne à s’écarter devant cette auguste machine.

La direction à vis, assistée en série, est légère et renvoie peu de sensations, sans être molle. La MkX présente l’adhérence et l’équilibre qui permettent de se jouer des ronds-points et des courbes sans concentration particulière. Elle se penche et sous-vire, mais sans excès et vous ne tardez pas à oublier ses dimensions généreuses. Cette qualité, associée à l’excellent confort qui approche le caractère souple et tranquille d’une XJ6, mais sans aucune mollesse, rapproche la conduite de la MkX de celle d’une voiture des années 1970.

© Classic & Sports Car

Alors que l’on célébrait l’an dernier les 50 ans de la MkX, on peut reconnaître d’importants progrès à cette voiture longtemps boudée et maintenant très recherchée et plutôt rare. Contemporaine de la Type E, elle était en matière de berline Jaguar tout aussi révolutionnaire, ouvrant une nouvelle ère avec un châssis sophistiqué et stable, qui a ouvert la voie à la famille des XJ.

Si vous voulez aller plus loin, vous pouvez même prétendre que la MkX était la première berline Jaguar de l’ère moderne : effilée, facile à utiliser et basse. Mais vous pouvez tout autant affirmer qu’elle était la dernière de l’ancienne génération de Jaguar : une voiture de luxe sans compromis qui, comme la MkIX, était plus rapide que la majorité sans pour autant prétendre à une quelconque « sportivité ». Incapable d’atteindre les chiffres de production prévus par William Lyons, elle fut une victime naturelle de la politique monomodèle développée par Browns Lane autour du succès de la X6 au début des années 1970. J’aime mes Type S, Mk2 et mes premières XJ, mais aucune Jaguar n’a jamais, pour moi, retrouvé la présence et le prestige de la MkX.

Jaguar MkX :
Période/Production 1961-1966 / 18 666 ex.
420 G : 1966-1970 / 5 729 ex
Construction monocoque acier
Moteur 6-cylindres en ligne fonte, culasse alliage, 2 ACT, 3 781/4 235 cm3, 3 carbus SU 13/4 in, ou 2 in
Puissance maxi 265 ch à 5 500/5 400 tr/mn
Couple maxi 35,5/39,2 mkg à 4 000 tr/mn
Transmission manuelle 4 rapports, ou automatique 3 rapports Borg-Warner DG ou Model 8, propulsion, différentiel autobloquant
Suspension ind av par doubles triangles, ressorts hélicoïdaux, am télescopiques, barre antiroulis ; ar triangles inférieurs, demi-arbres de transmission à longueur constante, bielles de poussée, doubles combinés ressorts/amortisseurs
Direction à vis et galet Burman (3,8 litres) ou Marles Varamatic (4,2 litres), assistance
Freins disques Dunlop, assistance
Lxlxh 5 131 x 1 930 x 1 391 mm
Empattement 3 048 mm

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