« Plus vous allez vite, et plus les commandes s’adoucissent »

Porsche 904 Carrera GTS

© Classic & Sports Car / James Mann

Prendre le volant d’une Porsche 904 permet de comprendre la place importante qu’elle occupe dans l’histoire sportive de la marque. Mais cela réclame un peu de concentration, comme le constate Mick Walsh.

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Les 1000 Km de Paris 1964, à Montlhéry, ont une signification particulière dans l’histoire de Porsche. Ce week-end d’octobre, par un temps humide, une Porsche 904 s’aligne au départ avec Herbert Linge et Gerhard Mitter. Apparemment, la voiture est une 904 comme les autres mais, en fait, le capot arrière dissimule un nouveau moteur six-cylindres à plat Type 901 prévu initialement un an auparavant pour ce coupé racé en fibre de verre.

Ainsi débute, avec une discrétion typique de la marque, l’histoire des Porsche six-cylindres, qui va se poursuivre avec les 906, 910 et 907, sans parler des 911 et de leurs innombrables succès.

La première sortie de la 904/6 est toutefois décevante. Même si Linge enchaîne des tours rapides, la voiture abandonne en début de course à cause de supports de pont cassés, faiblesse habituelle de la 904. L’épreuve finale de cette saison est assombrie par le décès tragique de cinq personnes dans l’accident de la Jaguar Type E de Peter Lindner venue heurter violemment une Abarth arrêtée dans l’allée non protégée des stands. Cette journée noire refreine sérieusement les ardeurs sportives, mais la nouvelle 904/6 rejoint l’arsenal Porsche pour la saison 1965 et décroche une série de résultats impressionnants, dont une quatrième place au classement général des 24 Heures du Mans entre les mains de Linge et Peter Nöcker, en marge de l’affrontement Ford-Ferrari.

Porsche prévoit pour la 904/6 une série conséquente et envisage même un nouveau nom, la GTS6. Mais quand la FIA annonce pour 1966 un nouveau règlement, avec une production de 50 exemplaires au lieu de 100 pour l’homologation, Porsche met un terme à la série prévue et se concentre sur un modèle complètement nouveau. La production des 904/6 s’est donc limitée à 10 unités.


Le développement étouffé dans l’œuf de la 904/6 est un épisode frustrant de l’histoire Porsche. En étant plus aboutie, elle aurait pu constituer la première vraie supercar de Stuttgart, capable de se mesurer à n’importe quelle voiture sur les routes des Alpes. Il faudra attendre encore 20 ans pour que le constructeur produise une machine aussi radicale, la très sophistiquée 959.


La beauté rouge de ces pages est une des 904 les mieux préservées; elle n’a connu que quatre propriétaires depuis l’origine mais Jean-Claude Miloé, passionné de Porsche et propriétaire de la voiture à l’époque de cet article, n’a pu résister à la tentation de l’équiper pour les compétitions historiques de l’ultime moteur Porsche 2,7 litres, avec des résultats spectaculaires. Lors de ses participations au Tour Auto historique, cette 904 à moteur six-cylindres s’est montrée parfaitement à la hauteur de la brillante réputation du modèle, tant sur route que sur circuit.

Le célèbre écusson Porsche.

Étant amateur de machines de sport-compétition du début des années 1960, je considère la 904 comme la plus belle Porsche jamais produite, grâce à un génie de la table à dessin, “Butzi” Porsche, petit-fils de Ferdinand. Agé de 28 ans, diplômé de l’institut d’Ulm et fort d’une expérience en conception de produits, Butzi a apporté une nouvelle vision au bureau d’études de Zuffenhausen. Depuis celle de Scooter Patrick poursuivant le roadster Cobra de Ken Miles à Riverside, jusqu’au brillant peloton de coupés gris argent du Mans 1964, la 904 a toujours été en avance sur son temps. Elle a même précédé la révolution de la fibre de verre en rallye en terminant deuxième au Rallye de Monte Carlo 1965, huit ans avant la première victoire de la Stratos. Fort à propos, c’est sur le circuit des Écuyers que nous nous retrouvons pour cet essai, pas très loin de celui de Reims-Gueux où l’équipe Porsche s’est rendue deux fois en 1964. D’abord pour les 12 Heures où les Argentins Andrea Vianni et Nasif Estéfano ont terminé cinquièmes en catégorie 2 litres devant les grosses Ferrari, avec deux autres 904 dans les sept premiers. Ensuite deux mois plus tard pour le Tour de France Auto où les 904 signaient un résultat impressionnant : 3e-4e-5e-6e au classement général, derrière les Ferrari GTO. La voiture rouge de ces pages est celle qui a terminé sixième, entre les mains d’Edmond Meert et Wim de Jonghe.

L’idéal aurait été évidemment de retrouver le circuit de Reims-Gueux mais, pour rouler tranquillement avec cette inestimable machine, celui des Écuyers est plus sûr et offre une grande variété de courbes et de dévers qui conviennent mieux à la Porsche que ce qui reste de l’ancien tracé de Reims.

Prendre place à bord d’une 904, avec sa porte articulée à l’avant et sa découpe de toit, est toujours délicat, mais les contorsions sont encore pires avec un arceau quatre points… Une fois dans le profond siège-baquet, vous vous sentez calé comme dans un avion de chasse. Le siège est fixe mais le pédalier est réglable en trois positions, avec une configuration parfaite pour le talon-pointe. Comme dans toute Porsche de compétition, l’habitacle est purement fonction[1]nel avec de la fibre de verre brute sans garniture, un tableau de bord recouvert de vinyle et un réceptacle accueillant trois compteurs VDO. Au centre, le compte-tours présente une zone rouge à 6 500 tr/mn et le compteur de vitesses est gradué jusqu’à 280 km/h. Les essais d’époque mentionnaient 257 km/h en pointe avec le 4-cylindres 2 litres quatre arbres mais avec le puissant 6-cylindres Type 901 et un long rapport de pont Le Mans, les 280 km/h sont à portée de main. Le profilage de la 904 était très efficace mais, malgré cela, certains des derniers exemplaires ont reçu un spoiler arrière pour améliorer la stabilité à grande vitesse.

Le grand volant bois d’origine a disparu au profit d’un élément plus épais en cuir, à trois branches. La visibilité vers l’avant est panoramique, mais coupée par le grand pantographe d’essuie-glace, au centre. Entre les sièges, le levier noir commande une boîte cinq rapports à première décalée.

Une fois les Weber triple-corps amorcés, le moteur se met en route avec un grondement profond et, une fois en température, il est temps d’enclencher la première. Les boîtes Porsche réclament une main ferme, mais celle-ci est vrai[1]ment dure avant que l’huile soit chaude et que le régime augmente. Heureusement, le couple généreux et l’accélérateur réactif facilitent l’apprentissage de ce circuit. Avec les Avon radiaux plus larges (6 pouces à l’avant, 7 à l’arrière), la direction extrêmement précise donne toutefois une première impression de lourdeur.

Mais, au bout de quelques tours, je commence à entrer dans le rythme de la 904. Son efficacité est extraordinaire. En sortie de virage, le moteur monte vigoureusement en régime et, combiné aux rapports courts, il permet à la voiture d’avaler les portions droites avec agressivité. Sur les sections sinueuses, la Porsche ne demande qu’à augmenter le rythme, son équilibre impressionnant et sa suspension ferme encourageant à un plus grand engagement de la part du pilote. Grâce aux disques ventilés, le freinage est superbe. Plus vous allez vite et plus les commandes s’adoucissent, avec une direction qui s’allège et une commande de boîte plus facile.

 Cette 904/6 est indiscutablement la voiture la plus rapide que j’ai essayée ces 12 derniers mois; elle flatte le pilote et je ressens une confiance qui m’incite à une conduite de plus en plus sportive. Mais il faut déjà rendre le volant de cette Porsche étonnante à son très confiant propriétaire. À l’époque, la 904 était appréciée pour son équilibre et sa stabilité à grande vitesse. “Avec cette voiture, je pouvais faire ce que je voulais,” rappelait Milt Minter à Jerry Pantis, historien Porsche 904; je ne pourrais dire mieux. L’expé[1]rience me rappelle des souvenirs du regretté Jim Diffey en pleine vitesse à bord de la 904/6 “012” marron d’Irvine Laidlaw, sur le “Nordschleiffe” du Nürburgring. Après avoir doublé notre Ford Falcon, sa vitesse de passage en courbe nous a paru stupéfiante. Plus tard, dans les stands, Diffey m’a avoué que la tenue de route de la 904 était une des meilleures qu’il ait jamais expérimentées.

Une des Porsche les plus pures jamais produites.

“Les mécanos ont découvert que du sucre
avait été versé dans le réservoir”

L’exemplaires de ces pages, châssis n°104, fait partie des derniers d’une deuxième série produite en 1964 pour l’homologation en catégorie FIA GT. Au mois de mai, cette voiture était livrée chez D’Ieteren, l’importateur Porsche en Belgique, qui la cédait à Eddy Meert, pilote privé qui avait auparavant couru avec une 356 Carrera 2 GT. Engagé au Tour de France Auto, Meert décrochait une impressionnante sixième place.

Favori lors du Rallye des Deux Catalognes contre une meute d’Alpine A110, Alfa Zagato et Ferrari GTO, il était contraint à l’abandon pour une raison mystérieuse après avoir signé les meilleurs temps. Les mécanos découvraient plus tard que du sucre avait été versé dans le réservoir! Meert gardait la voiture jusqu’en 1966 et la vendait à Robert Dutoit, pilote amateur français.

Elle remportait cinq victoires lors d’épreuves nationales et plusieurs de catégorie mais, après un accident à Montlhéry, Dutoit la vendait à Bernard Consten. Elle était alors de couleur argent. Consten, grand amateur de la 904 car il en a eu deux simultanément, se contentait de la restaurer et de lui rendre sa teinte rouge. Ami du célèbre pilote, Miloé lui proposait à plusieurs reprises de l’acheter et, quand enfin Bernard Consten acceptait, il en devenait le quatrième propriétaire. Préparée pour le Tour Auto 1996, la voiture y participait en régularité mais, à partir de 1999, Miloé père et fils se sont engagés en catégorie compétition en face des Daytona, Cobra et Alpine. L’équipage s’est Juillet 2018 Classic & Sports Car 63 montré très compétitif, avec plusieurs victoires de spéciales et, en 2008, une deuxième place au classement général derrière la Cobra de Ludovic Caron. Jérôme, fils de Jean-Claude Miloé, est un pilote expérimenté ayant pris part à plusieurs saisons GT3 au début des années 2000, mais il s’est ensuite tourné vers la compétition historique dont le Tour Auto auquel il a participé 15 fois. « Les premières années étaient fantastiques, raconte-t-il. La 904 est la meilleure voiture pour cet évènement, parfaitement polyvalente pour les épreuves circuits et route. Avec son moteur plus gros, ses 650 kg, le comportement sur les spéciales est fantastique et, en 2008, nous avons remporté toutes les courses de côte. Le moteur central lui donne un équilibre superbe. Au cours de toutes ces années, cette voiture nous a procuré énormément de plaisir. »

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