La famille rotative

Mazda à moteur Wankel

© Classic & Sports Car / Matt Vosper

C’est au Japon, chez Mazda, que le moteur de Felix Wankel a trouvé ses adeptes les plus fidèles. Cinquante ans après le premier moteur rotatif du constructeur, nous prenons le volant de tous les modèles importants de cette famille originale.

Rares sont les avancées techniques dues à des raisons fiscales, mais c’est pourtant un des motifs qui a poussé Mazda vers le moteur rotatif. Nous connaissons tous l’histoire de Felix Wankel : son passé politique, disons, « malheureux » et la mise au point d’un moteur doté d’un piston à mouvement rotatif au lieu d’alternatif. NSU est le premier constructeur à l’adopter en série avec le Spider Wankel (bien que Skoda ait produit avant NSU quelques prototypes dérivés de la 1000 B), puis Mazda achète la licence de cette technologie rotative.

Est-ce dû à une attirance particulière pour les moteurs bizarres ou au souhait de trouver une solution originale pour lutter contre la progression de Honda ? En partie, mais il y a aussi une origine fiscale. Mazda réalise en effet que ce type de moteur peut développer une puissance nettement supérieure à celle d’un moteur conventionnel de même cylindrée et, à l’époque au Japon, les voitures de moins de 1 000 cm3 sont moins taxées.

C’est ainsi que la Cosmo (110 S sur certains marchés) voit le jour. Ce nom puise ses racines dans la vogue de l’ère spatiale, la ligne de la voiture étant de son côté clairement inspirée d’Alfa Romeo. Au moins à l’avant : les phares sous globe et la calandre basse rappellent le spider Duetto mais, en se déplaçant vers l’arrière, c’est un style plus américain qui apparaît avec une touche de Ford Thunderbird 1966, similitude soulignée par l’anguleuse ligne de toit. Sur le plan technique, Mazda connaît les mêmes problèmes que NSU et peine à concevoir des segments qui préservent l’étanchéité de la chambre de combustion sans s’user rapidement. Les ingénieurs essayent tous les matériaux possibles (y compris de l’os animal) pour résoudre la question et en désespoir de cause Kenichi Yamamoto, ingénieur en chef, mobilise ses équipes : « À partir de maintenant, vous ne devez plus penser, nuit et jour, qu’au moteur rotatif !» Ils finissent par trouver une solution avec un alliage d’aluminium et de carbone, et en modifiant la forme des segments.

Cette rare Cosmo 110 S de 1968 fonctionne encore comme au premier jour : il s’agit d’une Série 2 dotée d’un moteur birotor 982cm3 développant 128 ch, sur un empattement plus long de38cm. Elle est basse et gracile, si bien qu’il faut un peu se contorsionner pour se caser derrière le beau volant Nardi à jante bois. Quelle que soit ma position, j’ai la tête qui touche le ciel de toit. Tout comme à l’extérieur, la Cosmo est très italienne à l’intérieur, avec un tableau de bord rempli de compteurs à fond noir, de divers interrupteurs et d’un adorable petit lecteur de carte réglable au-dessus des genoux du passager.

Extrêmement futuriste en 1967, la Cosmo l’est encore aujourd’hui.

La Cosmo se fait prier pour démarrer mais, une fois en route, le moteur présente la douceur caractéristique de tout bon Wankel et, avec ses 128 ch, elle est plus rapide que toutes ses contemporaines à moteur 1 000cm3. La boîte àquatre rapports est un peu vague et réclame un mouvement affirmé pour trouver la troisième mais, quand elle est chaude, la Cosmo présente des performances remarquables pour une voiture de cette cylindrée. Grâce au poids inférieur à une tonne, le manque de couple caractéristique du Wankel n’est pas un problème et la voiture s’insère sans difficulté dans la circulation moderne, pour autant que vous laissiez une marge aux freins d’époque et à la direction lourde et démultipliée.

Avançons de 40 ans pour nous tourner vers l’autre voiture blanche de ces pages, assemblée par Mazda UK pour célébrer l’anniversaire de ses modèles à moteur rotatif: une RX-8 de 2007.Cet exemplaire, série spéciale 40e anniversaire, bénéficie d’une finition particulière et de sièges plus soignés, mais ce qui la relie à la Cosmo se situe sous le capot. Séparé de la 110 S par quatre décennies d’efforts et de mise au point, le moteur 1,3 litre de la RX-8, malgré sa puissance presque deux fois supérieure (217 ch), donne vraiment l’impression d’une version évoluée du premier moteur 10 A. Il présente la même progressivité, avec une puissance proportionnelle au régime, la même douceur dépourvue de vibration et la même sensation de n’être pas exactement un moteur normal et d’offrir un fonctionnement qui se rapproche de celui d’une turbine.

Bien sûr, la RX-8 est beaucoup plus pratique que la Cosmo (il y a de la place à l’arrière, avec un accès facilité par les petites portes antagonistes), et vous pourriez envisager d’en utiliser une quotidiennement, pour autant que vous acceptiez une consommation de quelque 14l/100km.Le comportement est excellent lui aussi, avec une direction bien équilibrée et un confort de bon aloi sur les routes bosselées qui jouxtent le circuit de Goodwood. Une RX-8 peut se retrouver en travers sur chaussée humide mais parmi les voitures rassemblées aujourd’hui, c’est ce coupé quatre-portes à moteur rotatif atmosphérique le plus accompli. Surtout si vous le comparez à la RX-3. Remplaçante du coupé Mazda Luce (qui succédait à la Cosmo), la RX-3s’appuyait sur la gamme Gran Familia, concurrente de la première Toyota Corolla et devancière de la Mazda 323 bicorps. Connue également sous l’appellation Savanna sur certains marchés, la RX-3 reprenait la forme globale de la Familia et y ajoutait du muscle : un mot adéquat car le coupé bleu n’est pas sans rappeler une Chevelle à échelle réduite. Cet exemplaire n’est toutefois pas très standard et comporte un moteur 12 A de RX-7 avec sa boîte cinq rapports. Les jantes et pneus sont clairement à taille plus basse que la normale : mais lorsqu’il a été envisagé de démonter la voiture pour la ramener aux spécifications d’origine, Jota Sport (équipe de course qui gère la flotte historique de Mazda quand elle ne s’occupe pas du prototype LMP2de Jackie Chan Racing) a décidé qu’elle était bien trop amusante dans sa présentation actuelle pour la modifier.

 la RX-8 est légère et vive.

“Une RX-8 peut se retrouver en travers sur le mouillé, mais ici c’est la plus accomplie”

Ce n’est pas faux. La RX-3 a remporté bon nombre des premières victoires de Mazda sur circuit (à la suite d’une seule sortie pour une Cosmo au Marathon de la Route 1968 au Nürburgring, quatrième avec un équipage belge), comme aux Fuji 500, tout en signant de mémorables bagarres avec les Nissan Skyline, en particulier en Australie. Dans ce pays, les victoires de catégorie de la RX-3 ont été à l’origine d’une sorte de culte dont les Mazda rotatives ont fait l’objet, et qui perdure encore aujourd’hui. En théorie, cette voiture devrait présenter la même puissance que les premières Cosmo, mais elle donne une impression très pointue et la sonorité de son gros échappement est plus proche du hurlement que du grondement. Elle accélère énergiquement, au moins jusqu’à 5000tr/mn où, curieusement pour un rotatif, la puissance semble s’essouffler. Ce qui n’est pas gênant car, en atteignant ce régime, vous êtes déjà sourd et un peu étourdi par les gaz d’échappement. Conduire sportivement sur les petites routes du Sussex n’est pas si simple à cause d’une direction qui présente un très important point mort en ligne droite et des freins qui réclament un mouvement énergique et l’invocation des esprits pour s’arrêter à temps. Mais est-elle amusante ? Oui, très, et en particulier à cause de la large gamme de sonorités du moteur, de la série de flammes et pétarades qui s’échappent de l’échappement à la décélération, et d’un train arrière relativement libre de ses mouvements, mais jamais vraiment malsain. En plus, la forme agressive ne manque pas d’allure ; les années 1970 ayant été réhabilitées après avoir été considérées comme une décennie sans style, le genre Starsky & Hutch de la RX-3 est plutôt attrayant.

Mais la vraie star de cette réunion, c’est la RX-7 Mk3. Dessinée en 1978 par Matasaburo Maeda (dont le fils Ikuo signera plus tard laRX-8, donc la ressemblance est une affaire de famille), elle s’inspire visiblement de la Porsche 924 pour l’avant effilé, les phares escamotables et la lunette arrière enveloppante. Mais elle est plus petite que la Porsche, ce qu’elle doit également à des raisons fiscales : grâce à sa largeur limitée et son moteur de moins de 1,5 litre (1 146cm3 pour le 12 A birotor), ce petit coupé bénéficiait de taxes réduites.

 Le style s’inspire de l’Amérique des années 1970.

“Ce coupé bleu n’est pas sans rappeler une Chevelle à échelle réduite”

Le présent exemplaire est vraiment remarquable, non pas par ses performances ou son dessin (bien que les deux soient d’excellent niveau), mais par son état pratiquement neuf d’origine. Cette voiture était exposée en Écosse chez un distributeur Mazda avant qu’il ne perde sa franchise et ferme son garage. Mais, appréciant la RX-7, il l’a conservée, en a pris soin et l’a fait rouler une fois par an pour la maintenir en forme. Ainsi, quand Mazda en a fait l’acquisition, elle n’affichait que 80km au compteur (moins de 350km aujourd’hui). Le prix d’achat ? Mazda n’en parle pas, mais une part d’échange serait intervenue dans la transaction, dont deux RX-7Mk1 à restaurer et des pièces qui ne sont disponibles qu’au Japon.

Nous prenons place dans le siège en tissu gris, assailli par l’odeur de neuf des années 1980. Il est assez délicat de conduire une telle voiture, dans un tel état et affichant aussi peu de kilomètres. Pas restaurée, mais pratiquement neuve, et cela se sent au volant. Comme les 110 S et RX-8, la RX-7 n’est pas d’une très grande nervosité (elle est équipée du même moteur 108 ch que la Cosmo série 1) mais elle vient d’une époque où les voitures de sport n’avaient pas besoin d’une puissance gonflée aux stéroïdes pour être amusantes. La RX-7 file avec une subtilité et unéquilibre qui sont particulièrement rares; sa direction non assistée, en plus de renvoyer de parfaites sensations, présente une fermeté idéale, et ses commandes offrent une précision qui ne pouvait, dans les années 1980, qu’être japonaise. Le regard portant au-delà des phares escamotables typiques, vous profitez d’une voiture vive et plaisante sur les routes de campagne, parfaitement à l’aise à côté d’automobiles modernes. Honnêtement, j’aurais pu la garder toute la journée, sans les scrupules d’augmenter inutilement le kilométrage d’une voiture affichant un tel historique. Aujourd’hui, nous avons tendance à penser que Mazda n’est devenu constructeur de voitures de sport qu’à la fin des années 1980 avec l’arrivée de la première MX-5, mais cette RX-7Mk1 prouve que la marque de Hiroshima était capable de concevoir déjà 10 ans plus tôt un châssis aussi équilibré que celui d’une Lotus.

 La forme fait plus que s’inspirer de la Porsche 924.

“Vous profitez d’une voiture vive et plaisante, à l’aise dans la circulation”

Après le plaisir de la Mk1, il aurait été intéressant de lui opposer une Mk2 avec sa forme plus agressive, proche de la Porsche 944 et sa suspension arrière directionnelle. Mais ici, nous passons directement à la MkIII, modèle qui a entretenu la flamme du moteur rotatif à l’époque de l’explosion des coupés japonais à performances élevées, à la fin des années 1980 et au début des années1990. Alors que Honda équipait sa NSX de bielles en titane, que Mitsubishi dotait sa 3000 GT de super-ordinateurs et de roues arrière directrices, et que Toyota ajoutait un énorme aileron à sa Supra, Mazda mettait au point le plus sportif des coupés rotatifs jusque-là.

Pour ce faire, le constructeur dotait le nouveau moteur 1,3 litre 13B REW de deux turbos, ce qui d’une part libérait plus de chevaux (233 ch avec une zone rouge à plus de 8 000tr/mn) et d’autre part remédiait au défaut traditionnel d’un manque de puissance à bas régime. La MkIII rouge de cette réunion est un modèle standard, qui donne au volant une impression extrêmement jeune. L’accélération est forte et la direction est une des meilleures de sa catégorie. Assistée, mais avec un peu de la délicatesse de la premièreRX-7, elle guide ce nez profilé avec une précision incroyable et un feedback sans défaut. La RX-7 MkIII a été comparée à son avantage aux Porsche contemporaines (battant une 968 dans un essai d’Autocar), mais elle ne s’est pas très bien vendue. La combinaison de la crise du début des années1990 et d’un moteur rotatif gourmand n’a pas joué en sa faveur, et seuls 1 152 exemplaires ont été diffusés officiellement en Europe entre 1992 et 2002, même si d’autres ont pris la voie d’une importation privée.

Look “tuning” d’usine pour cette rare série Bathurst.

C’est le cas de la RX-7 MkIII bleue de ces pages, qui donne l’impression de sortir d’un magasin de tuning. Pourtant, les attributs qui l’équipent sont bien d’origine Mazda, car il s’agit d’une rare édition “Bathurst” produite à 500 exemplaires à la fin de la carrière de la RX-7, pour célébrer les succès du modèle dans les séries australiennes. Elle bénéficiait d’une pression turbo accrue, ce qui faisait passer la puissance à 276 ch et l’accélération de 0 à 100km/h à 4,5 s. Subjectivement, elle paraît aujourd’hui encore plus rapide que cela, et les turbos séquentiels permettent une personnalité moteur inhabituelle pour un rotatif. À bas régime, le plus petit turbo procure une abondance de couple et, à partir de4 000tr/mn, le deuxième turbo entre en jeu un peu comme le changement de distribution d’une Honda VTEC : soudain, la RX-7 donne l’impression d’être projetée en avant par un train de marchandises essayant de rattraper son retard. Elle s’élance avec une incroyable énergie et vous n’avez plus qu’à enchaîner les rapports quand approchent les 8 000 tours, dans un hurlement d’essoreuse. Même selon les standards modernes, c’est une excellente manière d’accélérer votre rythme cardiaque et je me demande d’ailleurs si une Porsche 911 moderne ne devrait pas batailler pour rester dans le rétroviseur. Je dois admettre une certaine admiration pour les Mazda rotatives. La RX-7 MkIII faisait partie de mes posters favoris et la RX-8 reste une des voitures les plus plaisantes que j’aie pu utiliser ces 10 dernières années. Et je ne suis apparemment pas le seul. Comme le souligne Sam Hignett, de Jota Sport, même les mécanos “modernes” apprécient ces coupés particuliers : « Ils ont du caractère, et il y a toujours quelque chose à faire. Avec une LMP2, vous démontez et remontez, et une fois que la voiture est fiable et efficace, le travail est assez routinier. Avec ces voitures, il y a souvent un défi, un problème à résoudre, et c’est ce qui nous plaît. »

Il y a six ans que Mazda n’a plus produit de modèle à moteur rotatif et il est probable que l’on n’en revoie pas de sitôt. Si ce type de mécanique revient, ce sera pour alimenter les batteries d’un modèle électrique. Dommage, car après tout, c’est le seul allègement fiscal qui mérite d’être commémoré !

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