L’âme de Newport Pagnell

Aston Martin DB4 - DB5 - DB6

© Classic & Sports Car / James Mann

L’influence de David Brown transparaît à travers les splendides DB4 à DB6. Simon Taylor présente ici la première grande famille d’Aston Martin de route.

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Pour commencer, débarrassons-nous de James Bond. Dans les premiers livres de Ian Fleming, 007 pilote une Bentley à compresseur. Les spécialistes de l’agent secret confirment que la première voiture qu’il a conduite dans un film est une Chevrolet Bel Air et ce n’est qu’au troisième épisode, Goldfinger, que Sean Connery est au volant d’une Aston DB5. Dans le dernier, Skyfall, Daniel Craig est de retour avec une autre DB5 pleine de gadgets — mais cela nous importe peu.

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En effet, les Aston Martin DB4 à DB6 sont bien plus importantes que de simples faire-valoir dans une série cinématographique fantaisiste célébrant la virilité de son héros. Elles incarnent des voitures de grand tourisme universelles, dont la beauté et les performances symbolisent le prestige de la marque. Même aujourd’hui, elles restent de merveilleuses machines pour n’importe quel voyage, quelles que soit la route et la destination. Et d’une certaine façon, tout comme une Ferrari ne peut être qu’italienne et une Porsche qu’allemande, ces Aston — malgré les racines italiennes de leur style élégant — n’auraient pu avoir une autre nationalité qu’anglaise.

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Pendant les dix premières années de la période David Brown, les Aston Martin de route (quatre-cylindres DB1 et six-cylindres DB2, DB2/4 et DB MkIII) sont d’élégants coupés de fabrication artisanale, affichant style et charisme. Mais même dans leur dernière version 3 litres, ces voitures peinent à atteindre 200 km/h alors que les Jaguar XK, moins chères et dotées de plus gros moteurs, les dépassent. Pour relever le gant, l’étude d’une plus grosse Aston commence en 1955. Dévoilée au Salon de Londres 1958 sous le nom de DB4, elle fait sensation et correspond, pour le constructeur de Newport Pagnell, à un changement radical de philosophie.

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Le nouveau six-cylindres en ligne 3 670 cm3 double arbre tout alu, dessiné par Tadek Marek, est alimenté par deux carburateurs SU et il est annoncé pour 240 ch (bien que les puissances indiquées à l’époque par Aston Martin et d’autres soient optimistes d’environ 15%). Le châssis en acier de Harold Beach est robuste et rigide, recevant à l’avant une suspension par triangles inégaux et, à l’arrière, un essieu rigide avec bras tirés et barre de Watt. Soudée au châssis, une superstructure de tubes de faible diamètre reçoit des panneaux d’aluminium, une technique mise au point par le carrossier Touring, de Milan, appelée « superleggera ».

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Chez Touring, c’est à Felice Anderloni que l’on doit le dessin splendide de la carrosserie : une de ces rares formes automobiles d’une grande simplicité, où chaque courbes et chaque rupture semble exactement là où elle doit être, avec un pavillon effilé dont les montants minces permettent une grande surface vitrée, et une ceinture de caisse marquée allant des phares à la position affirmée jusqu’aux ailes arrière finement découpées. Aucun ajout n’est nécessaire, seule l’écope de capot et les prises d’aire latérales venant rompre la pureté de l’ensemble.

Avec un empattement de 2,49 m et une longueur de 4,50 m, c’est la première Aston DB comportant quatre vrais sièges, même si à l’arrière la place pour les jambes est plutôt mesurée. Dotée d’un équipement complet et riche d’une superbe finition, la DB4 pèse près de 1 360 kg mais atteint 225 km/h et peut passer de 0 à 160 km/h puis à l’arrêt complet en moins de 30 secondes, une vraie performance pour l’époque, possible grâce aux quatre disques de freins assistés.

La production met un certain temps à prendre son rythme mais, au bout de quatre ans, jusqu’à juin 1963, 1 000 coupés DB4 ont vu le jour, ainsi que 70 cabriolets (celui-ci ayant été présenté en 1961). Diverses améliorations sont apportées en cours de fabrication, identifiées par les spécialistes en cinq versions, Series I à V. Les problèmes moteurs initiaux sont réglés par un carter d’huile plus volumineux et un radiateur d’huile, les portes gagnant un entourage de vitres. De plus grosses barrettes verticales apparaissent dans la calandre, les articulations du capot passent d’arrière en avant et les feux arrière reçoivent trois cabochons ronds remplaçant l’élément vertical. La prise d’air de capot voit sa taille se réduire et les versions Series V ont une carrosserie un peu plus longue, sur le même empattement. Leur ligne de toit est un peu plus élevée, mais la hauteur totale reste identique grâce à des jantes moins grandes, de 15 pouces au lieu de 16 au début pour les premières séries.

Le nombre d’options augmente, avec un overdrive, le moteur Vantage plus puissant à trois carburateurs SU et, vers la fin, des phares profilés sous bulle de Plexiglas. Ils font écho à ceux de la DB4 GT, plus courte, plus légère et destinée aux pilotes amateurs. Le nombre de ces versions sportives aujourd’hui très recherchées se limite à 94 exemplaires, dont les 19 les plus désirables, carrossées par Zagato.

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En été 1965, la DB4 laisse place à la DB5, qui bénéficie de tous les développements de la DB4, plus un moteur de 3 995 cm3 développant 282 ch avec trois carburateurs SU ou, en version Vantage, 314 ch avec deux Weber double-corps. Une boîte de vitesses ZF cinq rapports est disponible en option : elle équipe la majorité des DB5, les versions automatiques Borg-Warner étant beaucoup plus rares. A l’extérieur, les phares profilés sont désormais standard.

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Bien que la DB5 ne reste en production que deux ans, elle rencontre un grand succès avec un rythme de 10 voitures sortant de chaîne par semaine, pour atteindre un total de 886 coupés et 123 cabriolets, plus une douzaine de shooting brake réalisés par le carrossier Harold Radford. Le poids a gagné 160 kg, mais la puissance permet une vitesse de pointe de 230 km/h.

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Lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la plus belle des Aston DB, les opinions sont partagées : la DB4 originale, avec ses phares déterminant une ligne pure, ou l’aspect plus ramassé de la DB5 plus profilée. La DB6 est une tout autre affaire, ses lignes plus massives déterminant une personnalité différente, mais c’est la plus pratique des trois, et la plus stable à grande vitesse.

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Présentée au Salon de Londres d’octobre 1965, la DB6 et complètement repensée pour en faire une vraie quatre-places. L’empattement presque 20 cm plus long, le pare-brise plus avancé, le toit plus haut et des bras de suspension plus courts à l’arrière se traduisent par une banquette arrière plus spacieuse. A l’extérieur, un pan arrière tronqué doté d’un petit déflecteur répond aux théories aérodynamiques de Wunibald Kamm. Bien que moins élégant que celui de ses devancières, ce dessin permet à haute vitesse une réduction de 30% de portance à l’arrière. Avec son pare-chocs avant en deux partie laissant voir une prise d’air inférieure, la DB6 est une voiture plus conséquente que ses devancières, mais son poids ne change guère par rapport à la DB5. Avec le moteur Vantage développant officiellement 325 ch, la DB6 est chronométrée à l’époque à 236 km/h, en passant de 0 à 100 km/h en 15 secondes. Une direction assistée est disponible en option.

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La DB6 est produite pendant presque quatre ans, atteignant 1 321 coupés. On compte en plus 37 cabriolets — portant désormais le nom de Volante — sur le châssis DB5 plus court, ainsi que 140 versions sur l’empattement DB6, plus six adaptations shooting brake Radford.

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En juillet 1969 apparaît une DB6 modifiée, la Mk2. Équipée des jantes plus larges de la très différente DBS (qui est fabriquée parallèlement), elle reçoit de petites extensions d’ailes permettant de l’identifier. Sur les 250 coupés et 38 Volante Mk2, 46 sont dotées d’une injection Brico qui n’améliore pas les performances, sinon la consommation.

La dernière DB6 sort des chaînes de Newport Pagnell en novembre 1970. A cette époque, Aston Martin se concentre sur le V8 quatre arbres de la DBS et le six-cylindres de Marek arrive au bout de ses 14 ans d’existence. Selon le processus habituel, la valeur des versions six-cylindres tombe durant les années suivant l’arrêt de la production, et de nombreux exemplaires fatigués, achetés peu cher, continuent à se détériorer. Mais l’on peut tout de même, à l’époque, trouver une bonne DB6 pour 20 à 40 000 francs, avec 5 000 francs de plus pour une DB4 ou 5 et le double pour un cabriolet. Au début des années 1990, les prix sont nettement plus élevés et les voitures peuvent bénéficier de restaurations de qualité. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, une DB5 parfaite peut valoir 520 000 € et une bonne DB6 Volante plus encore.

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Les beaux exemplaires de DB4 à DB6 font encore au début du 21e siècle partie des classiques apportant le plus grand plaisir, tout en offrant une utilisation facile. Le magnifique trio qui illustre ces pages appartient à Markus Tellenbach. Sa DB4 est une Series IV, arborant la dernière calandre et la petite prise d’air de capot, alors que les ailes de la DB6 permettent de l’identifier comme une Mk2.

Markus Tellenbach, en clin d’œil à Fleming, possède aussi une Bentley ancienne mais utilise ses Aston le plus souvent possible. Dans la famille, une balade du dimanche s’effectue en convoi : lui en DB5 et son épouse en DB6, accompagnés des enfants et du chien. Les trois DB constituent de merveilleuses grandes routières et la famille en a profité en France, en Suisse et en Italie, passant les grands cols des Alpes comme le Saint-Gothard et le Stelvio. Chacune présente sa propre personnalité : la DB4 est plus rustique et plus pure, la DB5 présente un parfait mélange de performances et de sophistication, et la DB6 offre plus de place et un meilleur confort.

Chaque Aston Martin doit être prise au sérieux. Au cours de ses cent ans d’existence, la marque a vu naître de nombreux modèles faisant partie de la liste idéale de voitures rêvée par chacun, depuis « Green Pea » jusqu’à la One-77 actuelle. Mais en terme d’élégance visuelle et mécanique, d’utilisation et de pur plaisir de conduite, les quelque 4 000 exemplaires qui ont façonné les DB4 à DB6 sont difficiles à battre. Même James Bond ne s’y est pas trompé.

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